Le 21 juin, c’est la Fête de la Musique, une fête conviviale, devenue internationale, et qui marque joyeusement l’arrivée de l’été dans l’hémisphère Nord !
Cette fête n’existe pas depuis très longtemps, mais il existe de la musique dans toutes les civilisations et à toutes les époques, y compris dans l’Antiquité.
Alors, ce n’est pas “En avant la musique !”, mais plutôt “En arrière”, que j’ose dire, en vous invitant modestement à découvrir quelle musique les anciens Grecs et Romains connaissaient.
Le nom “musique” vient de l’adjectif grec μουσικος, η, ον (mousikos, ê, on), “qui concerne les Muses”. De là, μουσικη τεχνη (mousikê technê), littéralement “l’art des Muses”, signifie “la musique”.
Les Muses (qui, ci-dessus, figurent sur un sarcophage au Palazzo Massimo de Rome) sont Filles de Zeus et de Mnémosyne (Mémoire), déesses de la Littérature, de la Musique et de la Danse, puis plus tard de toutes les activités intellectuelles … À l’époque romaine, chaque Muse représentait un art particulier : Calliope, la poésie épique ; Clio, l’histoire ; Euterpe, le jeu de la flûte (et la poésie lyrique qu’elle accompagne) ; Melpomène, la tragédie ; Therpsichore, la danse chorale et le chant qui l’accompagne ; Erato, la lyre (et la poésie lyrique, souvent érotique, qu’elle accompagne) ; Polymnie, les hymnes aux dieux et, plus tard, la pantomime ; Uranie, l’astronomie ; Thalie, la comédie et la poésie bucolique (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, p. 654).
Presque toutes les Muses étaient reliées à la Musique !
Et le dieu de la Musique était Apollon, particulièrement associé aux aspects bénéfiques de la civilisation ; il donna à la culture grecque son idéal de l’homme jeune, beau, athlétique, vertueux et cultivé (Antiquité, p. 65).
Les Grecs attribuaient à plusieurs divinités la création de tel ou tel instrument de musique : Athéna, par exemple, aurait inventé la flûte. Mais c’est Apollon qui aurait inventé la musique, et en particulier la lyre (visible sur la statue ci-dessus). Cette invention, d’ailleurs, il la dispute à Orphée, fils d’une Muse … et qui jouait de la lyre si merveilleusement qu’il pouvait charmer les bêtes sauvages et mouvoir même les arbres et les pierres par sa musique (Antiquité, p. 703).
Malgré (ou, peut-être, à cause de) cette origine divine et mythique, la musique était, en Grèce, une réalité bien ancrée dans la vie quotidienne.
Ce que nous savons de la musique antique, ce sont principalement des sources iconographiques qui nous l’enseignent : vases, statues, sarcophages, ornements architecturaux représentant des musiciens avec leurs instruments.
Les instruments de musique que l’on voit sur ces artefacts sont surtout des instruments à cordes (la cithare — forme élaborée de lyre —, la lyre et la harpe) et des instruments à vent (les flûtes).
Parmi les flûtes, on trouve la flûte simple (αυλος aulos, en grec, tibia, en latin), jouée (ci-dessous) par un satyre, compagnon de Dionysos/Bacchus (dieu du Vin et du Théâtre),
ainsi que la flûte double (ou plutôt l’association de deux flûtes simples — les tuyaux étant souvent maintenus en place par un bandeau couvre-joues que portait l’instrumentiste, Antiquité, p. 655),
et la syrinx, ou flûte de Pan, aux multiples tuyaux.
D’autres (rares) informations sur la musique grecque antique proviennent de textes et de stèles.
Bien qu’il n’ait pas écrit de livres, la pensée du savant Pythagore est connue : on le crédite d’avoir découvert que la relation entre les principaux intervalles musicaux produits sur une corde qui vibre peut être exprimée par les proportions entre les quatre nombres entiers : octave, 2 : 1 ; quinte, 3 : 2 ; quarte, 4 : 3. À partir de là s’est développée l’idée que l’explication de l’univers doit être recherchée dans les nombres et dans leurs relations (Antiquité, p. 841). Quant aux philosophes Platon et Aristote, ils ont aussi écrit sur les effets de la musique sur l’âme (donc les vertus morales). À lire …
Une stèle (vue au Musée Archéologique de Thessalonique) porte une notation musicale. Les lettres de l’alphabet écrites au-dessus des syllabes indiquent les notes. En voici la notice :
Même simple (monophonique), la musique, omniprésente, accompagnait toutes les réunions sociales et les festivités : les Jeux publics (notamment les Jeux Pythiques à Delphes, mais aussi les Olympiques), les entraînements sportifs, les cérémonies religieuses (cultes, processions, sacrifices), les banquets (symposia), les performances théâtrales, les danses, les campagnes militaires, les mariages, les funérailles etc.
Elle était considérée comme indispensable à la culture des jeunes gens de bonne famille, et faisait donc partie de leur éducation.
Il en ira autrement chez les Romains plus tard, et c’est pourquoi Cicéron écrit (en 44 avant notre ère) en quoi la Grèce fut supérieure à Rome : La marque d’une éducation parfaite était chez les Grecs de savoir chanter et jouer des instruments à cordes ; aussi dit-on qu’Épaminondas, le plus grand homme, à mon avis, qu’ait eu la Grèce, jouait de la cithare à la perfection, et, à une époque un peu antérieure, Thémistocle fut considéré comme un homme peu cultivé parce que, dans un festin, il s’était dit incapable de jouer de la lyre. De là vient que les Grecs ont brillé dans l’art musical et que tout le monde étudiait la musique ; et, quand on l’ignorait, on passait pour un homme dont l’instruction laissait à désirer (Tusculanes, I, 1-2 ; traduction de l’édition Hatier, 2008).
Il est question ici de deux grands généraux victorieux, Épaminondas le Thébain et Thémistocle l’Athénien !
D’ailleurs le verbe κιθαριζω (kitharizô), “jouer de la cithare”, signifiait aussi “avoir une bonne éducation”.
Mais si la lyre et la cithare passaient pour produire un son noble et pacifique, la flûte, elle, était considérée comme plus “vulgaire”, alors qu’elle rythmait beaucoup d’événements.
Ainsi l’auteur grec Plutarque (Ier siècle de notre ère) rapporte-t-il le dédain du jeune et bel aristocrate athénien Alcibiade envers la flûte : Il ne voulut jamais apprendre à jouer de la flûte, parce que ce talent lui paraissait méprisable et indigne d’un homme libre. Il disait que l’usage de l’archet et de la lyre n’altère point les traits du visage, et ne lui fait rien perdre de sa noblesse ; mais que la flûte déforme tellement la bouche et même la figure entière, qu’on est à peine reconnu de ses meilleurs amis. D’ailleurs, ajoutait-il, celui qui joue de la lyre peut s’accompagner de la voix et du chant ; mais la flûte ferme tellement la bouche du musicien qu’elle lui interdit l’usage de la parole … Par ces propos, Alcibiade se délivra de cet exercice, et en détourna même tous ses camarades, qui furent bientôt informés qu’on louait Alcibiade de mépriser la flûte et de railler ceux qui en jouaient. Depuis, l’usage de cet instrument fut exclu du nombre des occupations honnêtes, et généralement regardé comme avilissant (Vies parallèles des hommes illustres, Alcibiade, § 2 ; traduction Ricard, 1840, Paris).
De fait, “joueuse de flûte” dans les banquets grecs était plus ou moins synonyme de “prostituée”…
Au deuxième siècle avant notre ère, Rome conquit la Grèce, mais en adopta beaucoup de coutumes, de systèmes de pensée, de figures allégoriques etc.
Les Romains n’étaient pas — du moins jusqu’à l’époque impériale (à partir d’Auguste) — très connaisseurs en musique, car elle ne faisait pas partie de l’éducation de l’élite. Mais ils adoptèrent plusieurs cultes et divinités des pays qu’ils avaient conquis (Grèce, Égypte, Moyen-Orient) et finirent par en apprécier les musiques. Ainsi leur quotidien ressembla-t-il à celui des Grecs : la musique accompagnait presque toutes les activités religieuses et sociales : événements publics comme le théâtre
ou privés comme les banquets, par exemple,
ainsi que lors des triomphes des généraux victorieux — célébration typiquement romaine !
Les instruments étaient les mêmes qu’en Grèce (lyre, cithare, harpe, syrinx, flûte) ; s’y ajoutaient les cors et trompettes militaires, les tambours et tambourins, les castagnettes et cymbales …
En outre, il semble que le chant ait été une activité appréciée.
Le biographe romain Suétone (Ier-IIè siècle de notre ère) rapporte, non sans une notable ironie, comment l’empereur Néron s’y adonnait : Il se mit à cultiver cet art et à s’y exercer, sans omettre aucune des précautions que prennent les artistes de ce genre pour conserver ou développer leur voix. Il se couchait sur le dos en portant sur sa poitrine une feuille de plomb ; il prenait des lavements et des vomitifs ; il s’abstenait de fruits et d’aliments nuisibles à son talent. Enfin, content de ses progrès, quoiqu’il eût la voix faible et voilée, il voulut monter sur le théâtre … Comme il tenait surtout à chanter à Rome, il y fit célébrer les jeux néroniens avant le temps prescrit. Tout le monde ayant demandé instamment à entendre sa voix céleste, il répondit qu’il céderait à ce voeu dans ses jardins (Vies des douze Césars, Néron, XX-XXI ; traduction M. Cabaret-Dupaty, 1893, Paris).
Néron alla même jusqu’à ouvrir un concours de chant en Grèce et, selon sa légende noire (rapportée par Suétone), aurait mis le feu à Rome, regardant ce spectacle charmé, disait-il, de la beauté de la flamme, et chantant la prise de Troie, revêtu de son costume de comédien !
Sont-ils fous, ces Romains !?
De nos jours encore partie intégrante de la vie quotidienne, la musique accompagne les grandeurs et les turpitudes des êtres humains.
Comme l’indique le Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins, p. 655), Si la musique est la science des modulations, de la mesure, on conçoit qu’elle commande à l’ordre du cosmos, à l’ordre humain, à l’ordre instrumental. Elle sera l’art d’atteindre la perfection.
Bonne Fête de la Musique !