Les oiseaux étaient considérés dans l’Antiquité gréco-romaine comme des messagers célestes. À chaque divinité (ou presque), son attribut ailé : le paon à Héra/Junon, l’aigle à Zeus/Jupiter, la chouette à Athéna/Minerve, la colombe à Aphrodite/Vénus etc.
Pour conclure ma série sur ce thème développé dans les articles Drôles d’oiseaux et Drôles d’oiseaux (II), en voici encore, que j’ai rencontrés en Grèce, aux États-Unis et au Japon.
D’abord, “un oiseau rare”(rara avis) !
Ce bas-relief est une stèle funéraire exposée au Musée archéologique de Thessalonique. Il s’agit d’un ex-voto dédié à Hadès, dieu des Enfers, par un prêtre nommé Hadaios, au IIè siècle de notre ère. Elle représente le dieu Hadès lui-même qui conduit un char attelé de gros oiseaux. Il n’y a pas d’autre précision sur la notice explicative du musée.
Ce qui est intéressant, c’est, d’une part, que le culte d’Hadès (“l’Invisible“) était peu développé : son nom même était tabou (et non prononcé à haute voix), car lié à la mort. D’autre part, selon Le Livre des Superstitions (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 1267), quelques divinités grecques possédaient un char ailé tiré par des oiseaux : Des aigles emportent le char de Zeus ; des paons celui de Junon […] ; des cygnes ou des colombes celui d’Aphrodite ; des cigognes celui d’Hermès. Mais aucun oiseau n’est mentionné pour Hadès, et les oiseaux de la stèle sont difficiles à identifier. Voilà donc une énigme !
Ensuite, un paon, fresque d’une tombe de l’époque paléochrétienne (Ier-VIIè siècles), visible au Musée de la Culture byzantine à Thessalonique.
Dans la mythologie grecque, la déesse Héra/Junon avait jeté sur la queue du paon les cent yeux du berger Argos (Argus), dont la vigilance avait été trompée par Hermès/Mercure, alors qu’il devait veiller sur Io, jeune femme métamorphosée en génisse, aimée de Zeus, et dont Héra était jalouse.
Voici un détail du tableau sur le mythe d’Io, peint par Bartolomeo di Giovanni (1490), visible au Musée Walters de Baltimore (États-Unis) : on y voit Junon jetant les yeux d’Argus décapité sur la queue de ses paons.
La somptueuse beauté de son plumage et la majesté de sa démarche (du nom latin pavo, le paon, vient le verbe “se pavaner”) en font une image de la Vanité. Sans doute cette image que nous nous faisons de l’oiseau est-elle plus ou moins influencée par l’attitude de l’animal dans la fable de Jean de La Fontaine Le Paon se plaignant à Junon (II, 17) ?
Pour le Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 725), cet oiseau est avant tout un symbole solaire ; ce qui correspond au déploiement de sa queue en forme de roue […] queue (qui) évoque le ciel étoilé.
Pour Le Livre des Superstitions (p. 1331), le paon dont la chair passait pour être incorruptible, représente l’immortalité et la renaissance car il perd et régénère chaque année ses couleurs et fait en outre de nombreux petits.
Dans la fresque chrétienne de Thessalonique (ci-dessus), il symbolise la Résurrection.
En dernier lieu, un autre “oiseau rare” et mythique : le phénix.
Présent dans plusieurs mythologies et religions (ainsi que dans les ensorcelantes aventures de Harry Potter), le phénix est un oiseau fabuleux qui se consume puis renaît de ses cendres. Immortel, il sera chez les chrétiens considéré comme un oiseau sacré et le symbole d’une irréfragable volonté de survie, ainsi que la résurrection, triomphe de la vie sur la mort (Symboles, p. 748).
Pour les taoïstes, son symbolisme est aussi en rapport avec le soleil, la vie et l’immortalité (Ibid.).
Au sommet du Pavillon d’Or (Kinkakuji) à Kyoto se dresse un phénix. Sans doute cela a-t-il un rapport avec le fait que ce superbe temple a été criminellement incendié, puis reconstruit (cf. le roman Le Pavillon d’Or de Yukio Mishima). Est-ce par hasard que, dans le jardin entourant le bâtiment, se trouvait cette magnifique grue cendrée, censée vivre plus de mille ans, et donc, pour les Japonais, symbole d’immortalité ?
Après toutes ces considérations élevées, oserai-je redescendre sur terre pour dire que le fameux mot de Cambronne (en cinq lettres) vient de merda, nom latin qui signifie “fiente, excrément (d’oiseau)” ?
Le poète latin Horace (Ier siècle avant notre ère) l’emploie dans la Satire 8 (Livre I) pour jurer qu’il dit vrai, après avoir raconté une incroyable histoire de sorcellerie. Il écrit : mentior at siquid, merdis caput inquiner albis corvorum, Si je mens, je consens que ma tête soit souillée par la fiente des corbeaux (traduction Henri Patin, 1860).
Drôles d’oiseaux !