Sage olivier

L’olivier est un arbre mythique, quasi divin. 

Grec, portugais, néo-zélandais, ou même new-yorkais (sous la forme d’un tableau de Van Gogh dans un musée !) — chaque olivier que j’ai vu et photographié au cours de mes voyages témoigne d’une histoire qui remonte à l’Antiquité, qu’elle soit biblique ou gréco-romaine.

Quelles sont ces histoires ?

Dans la mythologie grecque, la possession de l’Attique (région autour d’Athènes) fut jadis l’enjeu d’une spectaculaire dispute entre le dieu Poséidon et la déesse Athéna — tous deux dotés de pouvoirs magiques. Le dieu fit surgir une source d’eau salée en frappant le sol de l’Acropole (avec son trident) ; mais Athéna, qui avait fait le don de l’olivier, se vit attribuer la victoire par les Athéniens (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 805). La déesse donna son nom à la ville.

De nos jours, sur l’Acropole d’Athènes, on voit encore un olivier près du temple de l’Érechthéion, là où, selon la légende, l’olivier sacré d’Athéna sortit de terre. Un premier temple et l’olivier furent incendiés par les Perses en 480 avant notre ère, mais l’arbre aurait miraculeusement survécu, alors qu’un nouveau temple appelé Érechthéion fut reconstruit et achevé en 406 avant notre ère. 

Il est vraisemblable que la cella (ou chambre du temple) ait contenu le Palladion, la plus ancienne statue de la déesse à Athènes, en bois d’olivier (Antiquité, p. 380).

Une des épithètes rituelles d’Athéna est “Pallas” — d’où vient le nom grec Palladion, Palladium en latin. On dit que Pallas Athéna aurait elle-même fabriqué cette statue mystérieuse dotée de vertus magiques, tombée des cieux à Troie et vénérée depuis par les Troyens comme porte-bonheur (Dictionnaire culturel de la mythologie gréco-romaine, éd. Nathan, p. 187).

Mais ce n’est pas de là que vient l’expression française “toucher du bois”, quand on veut conjurer le mauvais sort ; elle est très probablement reliée à la mort du Christ, crucifié sur une croix de bois.

Cependant, le Palladion ⁄ Palladium en bois d’olivier était considéré comme un talisman, un bouclier, une garantie de sécurité. D’ailleurs, une des légendes liées aux héros d’Homère dit que, lors de la Guerre de Troie, Ulysse réussit à pénétrer dans la ville assiégée déguisé en mendiant. Hélène le reconnut mais ne le trahit pas, et même l’aida. Il rapporta la statue dans le camp des Grecs — ce qui leur aurait permis d’être finalement victorieux. 

On donne parfois le nom de “palladium” à tout objet ou symbole sacré garantissant la survie d’une ville ou d’un État (ibid.).

Pourtant, ce terme apparaît aussi de nos jours dans un tout autre registre : le vocabulaire sportif ou commercial (stades, magasins et autres lieux de rassemblement de foule). En témoigne ce gigantesque bâtiment vu à Prague — et il y en a sans doute ailleurs dans le monde.

Le personnage-logo qui surmonte l’inscription “Palladium” emprunte ses attributs, notamment les ailes et la trompette, à la NikêVictoria Victoire, ou à la Renommée, de l’Antiquité gréco-romaine.

Quel est donc le rapport entre le sport et le Palladium ? 

Une autre légende antique donne une explication mythique à l’instauration des Jeux olympiques originels. La thèse la plus répandue rapportait qu’ils avaient été fondés par Héraklès, qui introduisit en Grèce l’olivier sauvage ; il planta l’arbre sacré à Olympie pour donner de l’ombre au stade et utilisa ses feuilles pour couronner le vainqueur. En effet, le prix pour le vainqueur était une couronne de l’olivier sacré qui poussait dans le sanctuaire de Zeus — alias Jupiter pour les Romains et père de Hérakès/Hercule (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 691 et 549).

Les chaussures Nike™, les divers stades appelés “Palladium”, les “Jeux olympiques” — tous ces termes rappellent la présence de l’Antiquité dans les sports.

Outre les couronnes de ses feuilles pour récompenser les vainqueurs des diverses compétitions, l’olivier fournissait l’huile d’olive — un ingrédient d’une grande importance dans la vie des athlètes. Les Grecs, surtout, qui participaient entièrement nus aux exercices du gymnase (public) ou de la palestre (privée) et aux épreuves des Jeux, s’enduisaient le corps de cette huile, qui protégeait la peau du soleil et des éraflures, tout en magnifiant la beauté des corps musclés. 

À Rome aussi, on pratiqua cette embrocation. Le naturaliste Pline l’Ancien déplore cette coutume (parce qu’il n’aime pas beaucoup les Grecs) ainsi que celle de vendre à des prix exorbitants les “raclures” de sable, huile et sueur mêlés des athlètes — “raclures” faites après l’exercice ou la compétition avec un strigile (racloir), et censées porter bonheur !

Dans son Histoire Naturelle il écrit : La propriété de l’huile est d’échauffer le corps, de le protéger contre l’action du froid, et aussi de rafraîchir les chaleurs de la tête. Les Grecs, pères de tous les vices, en ont fait un abus de luxe en la répandant dans les gymnases ; on sait que des préposés aux gymnases ont vendu 80 000 sesterces (= 16 800 francs en 1848) les raclures d’huile. La majesté romaine a fait un grand honneur à l’olivier : les escadrons des chevaliers aux Ides de juillet (le 15), défilent couronnés avec des branches d’olivier ; de même on porte une couronne d’olivier dans le petit triomphe de l’ovation. Les Athéniens couronnent les vainqueurs avec l’olivier ; les Grecs, à Olympie, avec l’olivier sauvage (Livre XV, paragraphe V, éd. Émile Littré, 1848-1850).

Témoignages de la popularité de l’olivier et de l’huile d’olive, il existe en latin plusieurs mots pour les désigner. Le nom olea désigne 1-l’olivier, 2-l’olive ; oleaster est l’olivier sauvage ; oleum signifie huile. Ce sont les racines des mots français “oléagineux”, “oléicole”, “pétrole” (littéralement, “huile de pierre”) etc

Le poète Horace utilise olea au sens figuré dans le proverbe : nil intra est oleam — ce qui signifie (sous-entendu : soutenir un tel raisonnement, c’est une absurdité aussi grande que de prétendre que) “l’olive n’a pas de noyau” (Lettres, 2, 1). Horace encore est à l’origine de l’expression toujours actuelle : oleum addere camino, “verser de l’huile sur le feu” (Satires, 2, 3).

En prose, Cicéron écrit à ses familiers qu’il regrette de oleum et operam perdere, “perdre son temps et sa peine” (littéralement, “perdre son huile”, parce que la lampe à huile se consume pour rien, “et son ouvrage”). Et, en tant qu’orateur, il critique verba palaestrae magis et olei, “des expressions qui sentent plutôt l’école et la parade” — littéralement, “des mots (qui sont) plus de la palestre et de l’huile”. Il évoque ici l’huile dont se frottaient les athlètes. Même sens d’ailleurs chez le poète Catulle qui parle de decus olei, “la gloire de la palestre”, littéralement, “la gloire de l’huile”. 

Ces exemples soulignent bien l’importance du “cadeau” de l’olivier par la déesse Athéna et la raison pour laquelle elle l’a emporté sur Poséidon.

En effet, l’olivier est d’abord un arbre d’une très grande richesse symbolique : paix (cf. le rameau d’olivier que rapporta une colombe à Noé à la fin du déluge, dans l’Ancien Testament), fécondité, purification, force, victoire et récompense. Au Japon, il symbolise l’amabilité, ainsi que le succès dans les études et les entreprises civiles ou guerrières (Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 699-700).

De plus, l’olivier fournit les olives, donc l’huile — l’art de faire l’huile est même plus difficile que celui de faire du vin (selon Pline, op. cit. paragraphe II). Du reste, il n’est pas rare de voir des producteurs exploiter à la fois également un vignoble et une oliveraie. C’est le cas de Stonyridge Vineyard en Nouvelle-Zélande, dans l’île de Waiheke, au large d’Auckland, où l’on peut déguster deux productions locales : vin et l’huile d’olive.

On constate alors que l’huile n’est pas seulement employée pour s’éclairer ou se protéger la peau ; elle est surtout devenue un aliment essentiel dans les diètes de certains pays, comme elle l’était en Grèce autrefois. Car l’huile d’olive était le principal corps gras ; le beurre (en grec bouturos, formé de bous = la vache, le bœuf + turos = le fromage), appelé “fromage de vache”, était considéré comme une nourriture de barbare (Antiquité, p. 678).

Rien n’est nouveau sous le soleil, dit-on. Récemment, une étude menée en Amérique du Nord a montré les bienfaits de l’huile d’olive pour la santé (physique et mentale). Les médias canadiens en ont fait mention à la radio et dans les journaux.

L’huile de l’olivier, arbre dédié à Athéna, déesse de la Sagesse, est un remède anti-démence … c’est fou !

 

 

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