Ce 22 avril, “Journée internationale de la Terre nourricière” — selon l’expression des Nations Unies — est l’occasion d’évoquer Gaïa, la déesse-Terre de la mythologie grecque. Qui était Gaïa, la Terre pour les Anciens ? Quels sont les trésors de Gaïa ?
Selon la Théogonie du poète grec Hésiode, appelée Γαîα (Gaïa ou Gaia), fille du Chaos, elle enfanta Ouranos, le Ciel, qui devait ensuite la couvrir pour donner naissance à tous les dieux. Les dieux imitèrent cette première hiérogamie (“mariage sacré”), puis les hommes et les animaux ; la terre se révélant à l’origine de toute vie, le nom de ‘Grande Mère‘ lui fut donné … Universellement, la terre est une matrice qui conçoit les sources, les minerais, les métaux … La terre symbolise la fonction maternelle (Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 940-944).
La Terre-Mère est donc un symbole de fécondité. C’est pourquoi elle est représentée en femme allaitant — comme sur ce buste romain du 1er siècle de notre ère exposé au Musée Walters de Baltimore (États-Unis). Ce bronze incrusté d’argent et intitulé Gaïa aurait décoré un bateau.
On ne sait pas s’ils vécurent heureux, mais Gaïa et Ouranos eurent beaucoup d’enfants, plus monstrueux les uns que les autres !
D’abord leur naquirent les Cyclopes et les Titans.
Un de leurs petits-fils, Titan appelé Ατλας (Atlas, “l’infatigable”), était gardien des colonnes du ciel (qui maintiennent le ciel en l’air), et ultérieurement, à titre de punition pour sa participation à la révolte des Titans, il fut condamné à soutenir la voûte du ciel lui-même. Un conte prétend que Persée le transforma en pierre grâce à la tête de Méduse. Alors qu’Héraclès cherchait les pommes des Hespérides, Atlas offrit d’aller les chercher si Héraclès voulait bien soutenir le ciel ; il refusa ensuite de reprendre son fardeau jusqu’à ce que le héros le rendît par ruse (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 126).
Les souffrances d’Atlas et l’histoire de Persée sont racontées par le poète Ovide dans les Métamorphoses (Livres II et IV), tandis que le toit du palais impérial de Vienne est décoré d’une statue d’Atlas portant la Terre.
Puis — pour en revenir au couple terrible Gaïa-Ouranos — sur le conseil de Gaïa, Cronos (Saturne chez les Romains), le plus jeune des Titans, castra son père avec une faucille (acte qui semble symboliser la séparation du Ciel et de la Terre, motif fréquent dans les mythologies du monde entier) ; fertilisée par le sang, Gaïa devint la mère des Géants et des Furies (les déesses vengeresses qui harcelaient les criminels).
Enfin — fruit d’une autre union incestueuse avec un de ses enfants, le sombre Tartare — Gaïa donna le jour à Typhon, monstre aux cent têtes de serpent, qui fut enseveli sous l’Etna d’où il était censé provoquer des éruptions volcaniques (Antiquité, p. 425, 706 et 1027).
Étrange descendance pour cette déesse a priori bienfaisante !
Pour évoquer, sans les nommer, ces monstres dangereux, les Grecs recouraient à des périphrases. Ainsi, “la fille de la Terre et du Tartare” désignait la Mort ; “les filles de la Terre et de l’Érèbe” étaient les Furies. Pour le dramaturge tragique Sophocle, “les fils de la Terre” sont les Géants, tandis que pour le comique Aristophane ce sont les faibles humains.
Le culte de Gaïa fut surtout actif dans la haute Antiquité. Sa fonction caractéristique était de servir de témoin aux serments car c’était elle qui savait tout ce qui se faisait sur terre (Antiquité, p. 425). En Grèce, on jurait par le nom de “Gaïa”.
En grec ancien, le nom propre de “Gaïa”, d’usage principalement poétique, signifiait aussi communément : “la terre” (par opposition au ciel ou à la mer), “le pays”, et “la poussière” (en tant que matière provenant de la terre).
À l’époque moderne (en 2016) — et c’est probablement une coïncidence — j’ai retrouvé le nom propre de Gaïa (Gaia) au Portugal dans un quartier de Porto, au bord du fleuve Douro !
Le nom de Γη (gê), d’usage plus commun que Gaïa, signifiait : “la terre” (un des quatre éléments), “le globe terrestre”, “la portion de territoire, le pays”, “la terre cultivée, le domaine” et enfin “la Terre”, divinité personnifiée. En français, il a donné le préfixe “géo-” et des termes comme : “géographie, géologie, géométrie, géothermie, géophysique” etc.
Un autre mot grec Χθων (chthôn) signifie également “la terre” : d’abord, “le sol”, puis “la Terre” (divinité) et enfin “le pays”. Est “autochtone” une personne issue du sol même où elle habite. Hadès (Pluton à Rome) était un dieu “chtonien”, car il vivait sous la terre.
Quant au latin, il possède plusieurs mots pour désigner la terre et ses multiples sens.
Il y a “tellus”, qui, signifie “le globe terrestre” et a donné les adjectifs français “tellurique” (pour qualifier des courants ou des “secousses”) et “tellurien”. Avec une majuscule, “Tellus Mater” est la déesse Terre-mère. C’était une vieille divinité romaine, mentionnée par Cicéron (De Natura deorum, Livre III, 52) au même titre que “Terra“, et qui était identifiée à Gaïa.
Le nom commun “terra”, qui a donné le français “terre” et tous ses dérivés, reflète, lui, une réalité géographique : c’est la terre en tant que “surface, sol, continent”. Mais on ne parle pas de la planète. Cicéron utilise l’expression “orbis terrarum” (“le cercle des terres”) pour parler du monde, de l’univers. La conception romaine du monde en faisait un “cercle”, un globe, alors que, notamment en Chine, la terre est carrée, déterminée par ses quatre horizons (Symboles, p. 941).
Par ailleurs, l’expression “terra incognita” (“terre inconnue”) figurait sur les cartes nautiques du XVIè siècle lorsque aucun navigateur n’avait pu donner un nom à un territoire encore inexploré.
Il y a aussi le nom “humus“, signifiant “la terre” (le sol), et “le pays”, origine étymologique des mots “inhumer, inhumation, exhumer, exhumation, humble, humilité, humilier, humiliation” etc. Littéralement, “s’humilier” c’est se prosterner, se tenir bas, près de la terre — connotation religieuse à l’origine. D’ailleurs, dans le catholicisme, la célébration des Cendres rappelle à toute personne qu’elle est “poussière” et qu’elle retournera “en poussière”.
Certaines terres sont bénites : les pèlerins de La Mecque font des boulettes avec la poussière qu’ils y recueillent mêlée de leur salive ; ils attribuent à ces boulettes le pouvoir de protéger des maladies. La terre de Malte guérit les morsures de vipère depuis que saint Paul, ayant été mordu par un serpent en se rendant dans cette île, s’était rétabli rapidement (Le Livre des Superstitions, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 1703-1705).
Voilà donc, parmi les trésors de Gaïa, quelques mots, mythes, symboles et superstitions liés à notre précieuse Terre — et ce n’est pas le moindre de ses dons !