Les Vinalia

Dans la Rome antique, on célébrait plusieurs fêtes liées au vin, dont deux Vinalia, ou fêtes de la vigne.

L’été dernier (en 2020), je voulais visiter l’exposition Boire avec les dieux de la Cité du Vin à Bordeaux. Mais à cause de la Covid-19 je n’ai pas pu aller en France.

L’exposition, qui se présente comme s’attachant à révéler les liens étroits établis par la civilisation gréco-romaine entre le vin, les dieux et les hommes, a été reportée en 2021, du 9 avril au 29 août. Je compte la voir, au moins virtuellement.

Cela dit — et pour en revenir aux Vinalia romaines — comme les premières (Vinalia priora) se tenaient en avril, je saisis ici l’occasion d’écrire quelques commentaires sur des artefacts antiques liés au vin et aux banquets, avec des photos prises lors de mes voyages.

Les Vinalia priora célébraient la floraison des vignes.

Selon le Dictionnaire de l’Antiquité (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 1044), on ouvrait les fûts remplis l’automne précédent pour offrir le premier jet en libation à Jupiter.

Les libations (libationes en latin) étaient des offrandes aux dieux, habituellement du vin pur, mais parfois de lait, de miel ou d’autres liquides, y compris d’eau pure, versés sur le sol (Antiquité, p. 570).

La fête des Vinalia priora, le 23 avril (deux jours après le 21 avril — anniversaire de la fondation mythique de Rome par Romulus), était censée remonter à un vœu d’Énée, fils de la déesse Vénus/Aphrodite, autre ancêtre légendaire, par son fils Iule, de Rome.

Dans l’Énéide, le poète Virgile raconte les tribulations du héros troyen, qui s’est enfui de Troie, mise à sac et incendiée par les Grecs, et dont le destin est de s’établir en Italie pour fonder une autre ville. Quelque trente ans après l’Énéide, le poète Ovide explique dans les Fastes pourquoi le jour des Vinalia appartient à Jupiter.

Voici l’histoire du vœu d’Enée : Turnus, roi des Rutules, est fiancé avec Lavinia, fille de Latinus, roi du Latium. Mais Latinus veut donner sa fille en mariage à Énée, finalement arrivé en Italie. Turnus et Énée doivent se battre et le vainqueur épousera la jeune fille. Turnus se fait remplacer par l’Étrusque Mézence, combattant redoutable. Celui-ci lui dit : ‘Vous qui demandez mon secours, je n’y mettrai pas un trop haut prix : Faites-moi présent du premier vin qui bouillonnera dans vos cuves. Que l’échange soit accepté sans retard. À vous de donner, à moi de vaincre’… Les Rutules ont consenti. Mézence revêt son armure ; Énée revêt la sienne et invoque Jupiter : ‘Les ennemis ont promis leur récolte au roi toscan ; je te voue, ô Jupiter, le vin des vignes du Latium’. Le vœu du plus religieux l’emporte ; le gigantesque Mézence succombe, et il mord la poussière d’une bouche qui blasphème. L’Automne arrive, les pieds tout souillés du raisin qu’il écrase ; on fait hommage à Jupiter du vin qui lui a été promis. De là, ce jour a pris le nom de Vinales (Vinalia) ; Jupiter le réclame, et c’est une fête qu’il aime à compter parmi les siennes (Fastes, IV, v. 885-900, traduction en italiques, de Maurice Nisard, Paris, 1857).

Les Vinalia d’avril symbolisaient donc la consécration du vin des vignes du Latium. Elles  s’ajoutaient ainsi aux célébrations entourant l’anniversaire de la fondation de Rome, en ce mois d’avril consacré à la déesse Vénus/Aphrodite (non seulement mère d’Énée, mais aussi déesse italique de la fertilité des plantes).

Presque toute consécration religieuse impliquait des rites de sacrifices, libations et banquets.

En grec, le banquet se dit συμποσιον (littéralement, “boire ensemble”). Le monde moderne a gardé le nom de symposion (avec l’orthographe latine symposium et un sens un peu différent).

Il se tenait dans l’andron, l’appartement des hommes. Les convives, la tête couronnée de fleurs, s’étendaient sur des lits en s’appuyant sur le bras gauche, à raison de deux ou plus par lit ; des tables basses, placées en face, permettaient de poser la nourriture et les coupes de vin (Antiquité, p. 957).

Au début d’une beuverie (symposion), un peu de vin pur était versé sur le sol pour le bon génie (agathos daimon). On mélangeait habituellement le vin dans de grands vases (cratères) à trois reprises, et à Athènes au moins on versait une libation à chaque fois pour Zeus (Antiquité, p. 570).

Le nom de “cratère” (κρατηρ) vient du verbe κεραννυμι (kerannumi) qui signifie “mélanger”. Le vin étant très concentré et fort, il fallait le couper d’eau — tâche dévolue à un esclave échanson. Sur le relief en marbre ci-dessus, le petit personnage entre les convives allongés est cet échanson, représenté traditionnellement en tant qu’esclave comme plus petit que les hommes libres. Le cratère à côté de lui est énorme !

Les cratères étaient souvent très décoratifs, ornés de scènes mythologiques ou réalistes, qui nous renseignent sur des événements de la vie des Grecs.

Ci-dessus, à gauche, se trouve un cratère en or massif trouvé à Derveni, sur le golfe de Corinthe, et exposé au Musée archéologique de Thessalonique. À droite, ce cratère à colonnes (formant les poignées) en poterie date du Vè siècle avant notre ère. Exposé à la National Gallery of Victoria à Melbourne, il a été fabriqué en Lucanie (province méridionale de l’Italie) où l’on a trouvé plusieurs spécimens de vases à figures rouges. Celui-ci présente une scène qui se déroule dans une palestre (gymnase). Une femme offre à un athlète lutteur une bandelette (ou guirlande) ou une couronne — symbole de victoire.

Le vin et l’eau étaient apportés, l’un dans une amphore ou une œnochoé, l’autre dans une hydrie. L’amphore, αμφορευς, littéralement “porté par deux anses”, était un vase d’usage très courant pour conserver du vin, de l’eau ou d’autres produits. L’hydrie, υδρια, contient de l’eau, comme son nom l’indique (du nom grec on a fait le préfixe hydro-). Quant à l’œnochoé, son nom signifie étymologiquement “verser du vin”.

Sur ces photos prises au Hellenic Museum de Melbourne, ces accessoires de banquet sont bien conservés. À gauche, l’amphore en céramique à figures rouges date des années 460-450 avant notre ère. Elle montre une scène intime entre une femme qui tient une branche de myrte (attribut de Vénus) et un homme portant une balle ou un fruit rond. Près du couple se trouve un canard (également attribut de Vénus). C’est donc une rencontre amoureuse. À côté de cette amphore, une hydrie en bronze du IVè siècle avant notre ère. Sur la photo de droite, l’œnochoé, en céramique des années 675-650, témoigne de l’influence des figures géométriques (même pour des chevaux) dans les ateliers d’Asie Mineure (Turquie actuelle).

Les convives disposaient de coupes ou de gobelets.

Ci-dessus, à gauche, des kylix (κυλιξ) ou gobelets en argent datant de 330 avant notre ère, exposés à Thessalonique, sont contemporains du skyphos (σκυφος) en céramique à décoration polychrome sur un fond noir verni, visible à Melbourne. Les dessins représentent les plaisirs du symposion, car la figure féminine est celle d’une hétaïre — courtisane participant, pour les distraire, à ces banquets exclusivement réservés aux hommes libres — et les ornements sont des feuilles de vigne.

Que ce soit en Grèce ou à Rome, on utilisait des vases de toutes formes pour les banquets, Vinalia ou autres manifestations festives.

 

Les banquets étaient populaires auprès des aristocrates grecs. À Rome, il y avait des orgies — dont la connotation est désormais péjorative. Mais à l’origine c’était un “rite secret” (sens du grec οργια), habituel dans le culte des divinités des religions à mystères (pratiques non publiques, réservées aux initiés), comme le culte de Déméter/Cérès (à Éleusis) ou Bacchus/Dionysos (Antiquité, p. 702).

La deuxième fête romaine des Vinalia (Vinalia rustica) était célébrée les 9 et 10 août et inaugurait les vendanges. On immolait des agneaux à Jupiter, avant que le flamen dialis (son grand prêtre) ne rompe les premières grappes (Antiquité, p. 1044).

Les belles grappes que l’on voit en couverture de cet article sont celles d’un vignoble que j’ai visité en janvier 2020 en Uruguay, non loin de Montevideo. Le vin (cépage Tannat) était très bon.

Mais ce que j’ai trouvé amusant, c’est que, dans la cave, à côté des tonneaux de vin se trouvait un assemblage d’améthyste, du grec Ametusios — qui n’est pas ivre. L’améthyste est une pierre de tempérance qui garde de toute ivresse. Ce serait pour cette raison qu’elle serait portée par les évêques … qui devaient se garder de toute ivresse, fût-elle spirituelle (Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 35).

Et sur la table où nous faisions la dégustation il y avait une bouteille d’eau, dont le nom latin Salus signifie “salut, sauvegarde” — comme pour conjurer l’ivresse !

 

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