Parier sur l’avenir en un coup de dés — voilà ce que faisaient souvent les Romains de l’Antiquité, superstitieux et joueurs.
Certains d’entre nous, à l’aube du 1er janvier, qui en Occident débute une nouvelle année (et ce, depuis l’an 153 avant notre ère), consultent astrologues et horoscopes avec le même désir de connaître l’avenir — surtout quand l’année écoulée a été difficile !
Voulez-vous savoir quels présages tirer de ces petits cubes ? Alors, faites vos jeux …
En effet, pour les Anciens, oracle et jeu étaient liés.
La divination par les dés porte plusieurs noms.
On la nomme “pettimancie” ou “cubomancie” quand on utilise des petits cubes de pierre à six faces, du grec πεσσος ou πεττος (pessos ou pettos, pion, pierre cubique) ou κυβος (kybos, cube, dé, hasard) et μαντεια (mantéia, divination, prédiction).
Il existait aussi “l’astragalomancie” (αστραγαλος, astragalos, os, osselet), dont certains attribuent la création au grammairien grec Athénée (IIè-IIIè siècles), et qui était fort prisée dans le monde gréco-latin. L’osselet avait quatre faces portant les chiffres 1, 3, 4, 6, et des bouts arrondis.
Enfin, elle s’appelle “cléromancie” (κληρος, cléros, jeton) quand on utilisait les dés qu’on agitait dans une urne avant de la renverser : l’oracle dépendait de la manière dont ils se disposaient, indique le Livre des Superstitions (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 573-574).
L’historien Suétone rapporte que l’empereur Auguste adorait y jouer — alors qu’à Rome les jeux de hasard et d’argent étaient illégaux et interdits en public, sauf pendant la période des Saturnales au cours du mois de décembre. Auguste, indifférent à sa réputation de joueur, jouait sans déguisement et sans mystère. C’était un délassement qu’il affectionnait, même dans sa vieillesse, non seulement pendant le mois de décembre, mais encore les autres jours de l’année, qu’il y eût fête ou non. Dans une lettre adressée à son beau-fils Tibère, il écrit : Après avoir jeté les dés, celui qui avait amené le chien ou le six mettait au jeu un denier pour chaque dé, et celui qui avait amené Vénus prenait tout (Vies des Douze Césars, Auguste, LXXI, traduction de M. Nisard, Paris, 1855).
Pour comprendre les enjeux des parties de l’empereur et de ses compagnons, il faut savoir que le meilleur coup était le ‘coup de Vénus’, lorsque les quatre dés montraient des numéros différents ; le coup le plus mauvais était le ‘coup du chien’, lorsque chaque dé montrait l’as (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, p. 305-306).
Mais pourquoi un simple dé permettait-il aussi de “connaître” l’avenir ? C’est que les six pans ou points d’un dé symbolisent les six règnes de l’univers : minéral, végétal, animal, humain, psychique et divin. Le dé est donc un monde en soi, qui sert à déchiffrer le monde extérieur.
Dans l’Antiquité et au Moyen Âge, la consultation divinatoire se pratiquait avec un ou deux dés, chaque point correspondant à des lettres (par exemple, 2 = E, 7 = C, K, Q). Avant de jeter les dés, il fallait écrire la question à laquelle on cherchait une réponse ; les lettres obtenues grâce aux points servaient à composer la réponse.
Ou bien les points indiqués par le dé sont associés à divers présages : 1- annonce d’une lettre très importante, 2- beau voyage, 3- belle surprise, 4- malchance et soucis, 5- changement dans les affaires familiales ou infidélité du partenaire, 6- rentrée d’argent inattendue (Superstitions, ibid.).
Peut-on encore de nos jours ajouter foi à ces pratiques ?
En tout cas, quelques années avant le règne d’Auguste, Jules César, imperator (général en chef) conquérant des Gaules, osa forcer le destin en franchissant le Rubicon le 10 janvier 49 avant notre ère — déclenchant une guerre civile, sa victoire, et son ascension graduelle vers le pouvoir suprême (dictateur à vie). Suétone rapporte qu’au moment de franchir la rivière fatidique, il aurait eu cette parole de “joueur” : Alea jacta est (le sort en est jeté, littéralement : le dé a été jeté) ! Paroles immortelles !