Ces modernes Caryatides ornent une salle du bateau de croisière qui m’a emmenée d’Australie en Nouvelle-Zélande, en janvier-février 2019. J’ai trouvé ce bateau fort à mon goût !
Mais, sans dire son nom ni celui de la Compagnie maritime à laquelle il appartient, je voudrais ici dévoiler les surprenants trésors que j’y ai découverts, et montrer comment l’Antiquité gréco-romaine a pu influencer la décoration de ce moyen de transport contemporain (mis à l’eau en 2006) ainsi que les loisirs de ses passagers.
Tout d’abord, qu’est-ce qu’un “bateau de croisière” ?
Si le terme de “croisière” n’est entré dans la langue française qu’à la fin du XVIIè siècle, la notion actuelle et courante de “croisière”, en tant que voyage d’agrément effectué sur un paquebot, un navire de plaisance (définition du Petit Robert) n’existait pas dans l’Antiquité … à quelques exceptions près !
Dans la littérature gréco-latine, les personnages d’Ulysse (Odyssée) et d’Énée (Énéide) sillonnent en bateau la mer Méditerranée, mais ne sont pas du tout des “croisiéristes” !
De fait, dans le monde méditerranéen antique, il existait des bateaux de guerre (longs navires, assez plats) et des bateaux de commerce (gros cargos qui pouvaient transporter parfois des passagers en plus des marchandises). Cependant, à l’instar des pharaons égyptiens qui descendaient le Nil par agrément, ou des souverains hellénistiques (IIIè siècle avant notre ère) voyageant pour leur plaisir, les hautes personnalités romaines pouvaient circuler dans de somptueux navires.
Racontant, avec désapprobation, les prodigalités de Caligula, l’historien Suétone écrit: “Il fabriqua des galères liburniennes à dix rangs de rames. Les poupes étaient garnies de pierreries et les voiles enrichies de diverses couleurs. On y voyait des bains (thermes), des galeries (portiques et colonnades) et des salles à manger d’une large dimension, des vignes et des arbres fruitiers de toute espèce. C’était sur ces navires qu’il parcourait les côtes de la Campanie, assis à table au milieu des danses et du son des instruments.” (Vies des Douze Césars, “Caligula”, 37, 3 ; traduction de Maurice Nisard, 1855).
La décoration comprenait des mosaïques, des incrustations de marbre, et des bronzes, notamment des têtes d’animaux plus ou moins exotiques, tels des lions et panthères, loups et sangliers.
De plus, une tête de Méduse, au regard pétrifiant, dominait ce bateau de croisière, comme pour empêcher toute attaque.
Quant à l’empereur Néron (qui régna de 54 à 68), il décida d’éliminer sa mère, Agrippine, au cours d’une “croisière”. L’historien Tacite écrit que Néron fit construire un luxueux navire en l’honneur de celle-ci, une liburna, bateau à fond plat, où avait été aménagée une chambre d’apparat. Un immense ciel de lit lesté de plomb devait s’écrouler pour tuer Agrippine, mais elle échappa par miracle à ce piège, et, après avoir rejoint à la nage sa propre résidence, au bord du lac, fut finalement assassinée par les sbires de son fils (cf. Annales, Livre XIV).
De ces textes il ressort que l’Antiquité connaissait la notion de “bateau de croisière” !
En ce qui concerne celui que j’ai pris, si l’on n’y trouvait pas de verger comme dans celui de Caligula, on pouvait y admirer, en revanche, toutes sortes d’artefacts, plus ou moins modernes, mais inspirés de l’Antiquité.
D’abord, une pièce située près de l’entrée, appelée Atrium, comme dans les villas romaines.
Ensuite, une “assemblée des dieux”, avec, dans l’angle d’un comptoir de bar, une statue d’Athéna, casquée, portant une cuirasse avec l’égide et la tête de Méduse, et, à l’entrée d’un restaurant, une statue de Vénus (copie du XIXè siècle) avec ses oiseaux favoris (colombes) et des provisions symbolisant l’abondance.
Dans une des salles à manger, les statues en bois (1984-2004) des dieux Jupiter (souverain de l’Olympe) et Neptune (dieu de la Mer, tout à fait à sa place dans ce cadre marin) se font face près du buffet.
D’autres personnages mythologiques rappellent l’élément aquatique : non pas la mer, mais les fleuves et rivières. Ainsi, dans un des escaliers, il y avait une fontaine à l’effigie d’un dieu de rivière (copie du XVIIIè s.),
et, au détour d’un couloir, un dieu barbu, c’est-à-dire la représentation d’un dieu-fleuve, tel Oceanus.
Enfin, çà et là, encore d’autres éléments décoratifs, comme un vase d’apparence dionysiaque, avec vigne et pomme de pin,
ou cette enseigne militaire réunissant divers attributs des armées antiques, des casques grec et romain (avec une couronne de laurier), une tête de Méduse, et des aigles romaines !
Nul bateau de croisière ne s’aventure sans savoir où il va ! Dans l’Antiquité déjà, “dès le Vè siècle avant J.C., apparaissent les premiers itinéraires illustrés de maladroites représentations du monde connu. Puis, au IIè siècle avant J.C., naissent les “guides de voyage” au sens moderne du terme. Essentiellement consacrés à la Grèce (Guide de l’Acropole, Guide du sanctuaire de Delphes etc.), ils contiennent des descriptions des monuments ainsi que des commentaires historiques et mythologiques.
Pour ce qui est des cartes, un familier d’Auguste, Agrippa, chargé de moderniser le réseau routier de l’empire, fait exposer à Rome une représentation de toutes les voies de communication.” (Article de Catherine Salles, Magazine L’Histoire, septembre 1996, p. 59).
Beaucoup plus tard, lors des voyages de découvertes des Hollandais et des Portugais vers l’Inde et l’Asie, sont établis des planisphères, tel celui exposé à Porto au Musée World of Discoveries,
où, à la place de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, figure une Terra australis incognita.
Dans “mon” bateau de croisière, un grand planisphère, gravé sur bronze et placé dans l’escalier central, reproduit le monde “à l’antique”, bien qu’il date de 1994.
Outre les similitudes concernant les continents, il accentue la connotation gréco-romaine par la présence de personnages mythologiques, dont les Trois Grâces, au centre. De plus, l’inscription en latin Repertum Orbis Terrarum (littéralement “Découverte du cercle des terres”), fait explicitement allusion à la façon dont la plupart des Anciens voyaient notre Terre, c’est-à-dire comme un disque plat entouré d’eau.
Pour finir, pas de bateau de croisière sans passagers qui “s’amusent” !
Dans une des salles de jeux (pour adultes), outre des tables de billard ou de roulette, on peut jouer avec des machines à sous. Plusieurs d’entre elles affichent des éléments se référant à l’Antiquité, grecque, avec Zeus (alias Jupiter),
et romaine, avec Spartacus (le gladiateur qui fit trembler Rome) et Pompéi (l’éruption volcanique la plus célèbre de l’Histoire) !
Machines à sous ainsi appelées car explosives ? ou toutes-puissantes ? Qui sait ? En tout cas, je ne m’y suis pas risquée …
Avec tout cela je dois dire que le bateau présentait tous les aspects d’un paquebot moderne, et que cette croisière fut très agréable !