“Hou ! les cornes !”

Le geste de ce personnage, gravé dans la pierre grecque il y a plus de deux mille ans, paraît encore très actuel : on dirait bien qu’il fait “Hou ! les cornes !

Sa signification ordinaire est d’ironiser sur l’infidélité de la femme de celui à qui ces “cornes” sont adressées, le désignant comme “cocu”. Modernes, les Anciens ?

Mais cette signification ne correspond pas à la scène représentée ici.

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Au Musée Archéologique de Thessalonique (Grèce) où elle se trouve exposée, cette stèle funéraire, datant de l’année 50 avant notre ère, et dédiée à un certain Caius Papillius, retient l’attention à cause de ce geste, par ailleurs très peu expliqué sur la notice du Musée.

L’épitaphe est bilingue — chose rare à l’époque, même si la Grèce, Macédoine incluse, a été conquise par les Romains depuis la fin du deuxième siècle avant notre ère (en -146).

En haut, c’est du grec. On distingue le mot χαιρε (kaïré), qui équivaut à “au revoir, adieu”. En bas (mais non visible sur ma photo cadrée trop serrée), c’est du latin (dont le nom du défunt).

Assis à droite, Caius Papillius, qui a tout d’un notable (longue toge drapée, taille imposante, siège ouvragé). Il est immortalisé comme un héros, ce que symbolisent les serpents au-dessus de lui — animaux porte-bonheur dans l’Antiquité gréco-romaine, et symboles de santé (Asclépios, dieu de la médecine, porte un bâton enlacé d’un serpent).

Debout, légèrement en retrait à gauche, se tient un homme de plus petite taille (un esclave — les serviteurs étant toujours représentés comme étant plus petits que les maîtres), vêtu d’une simple tunique courte. Signe de son instruction, il porte un volumen (rouleau de parchemin). De sa main droite il “fait les cornes” en direction du ciel — geste “apotropaïque” (selon la notice du Musée), c’est-à-dire censé détourner le mauvais sort.

Dans son ouvrage intitulé Body Talk (1994), Desmond Morris, spécialiste des comportements humains (et auteur du best-seller Le singe nu), explique que faire les cornes à l’horizontale est un geste de valeur spécifiquement protectrice. Il est donc “apotropaïque”, comme “toucher du bois” ou “croiser les doigts” — gestes que les superstitieux pratiquent pour éviter la malchance, ou pour porter chance.

Sur cette stèle, les “cornes” ne sont pas à l’horizontale, mais elles sont dirigées vers les serpents porte-bonheur.

Conformément à la vision non pessimiste qu’avaient les Grecs de la mort, on peut alors penser qu’il s’agit d’un geste d’adieu confiant et encourageant !

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