Retour en Ouzbékistan (avril 2025)

J’ai passé les deux dernières semaines d’avril en Ouzbékistan. J’y étais déjà allée en août 2023, mais cela valait la peine d’y retourner ! 

Ce ne sont pas seulement mille et une merveilles que l’on peut voir en Ouzbékistan, mais aussi des vestiges d’un passé lointain.

Alexandre le Grand, qui traversa le pays (en 328-327 avant notre ère) lors de son expédition militaire jusqu’à l’Inde, conquit Boukhara et séjourna à Samarcande. Cependant, il ne reste pas de traces architecturales de son passage.

Mais pendant mon séjour, tout en admirant de magnifiques monuments érigés principalement entre le IXè et le XVè siècle de notre ère, je me suis amusée à repérer dans l’Ouzbékistan moderne des “échos” de l’Antiquité gréco-romaine dans des monuments, mots et personnages — dont voici quelques exemples, qui ne constituent pas un “guide de voyage”, mais qui me paraissent dignes d’intérêt.

Cette fois-ci, après Tachkent, Boukhara et Samarcande, j’ai également pu découvrir Khiva (dont on voit la vieille ville illuminée en couverture de cet article). 

Mon voyage en Ouzbékistan

À Tachkent, la moderne capitale où je suis restée peu de temps, outre la station de métro dédiée aux cosmonautes (et à leur prédécesseur mythique, Icare, le premier homme volant), j’ai aperçu, depuis un taxi, ces deux bâtiments :

Le nom latin Notarius signifie d’abord “sténographe” (selon Pline le Jeune, c’est celui qui maîtrise les caractères de l’alphabet), puis “secrétaire”. Ici, il s’agit peut-être d’un “notaire” (notarius est l’étymologie du mot), mais je n’ai pas pu le vérifier !

Quant à l’Université de Tachkent, elle affiche le style néo-classique d’un bâtiment grec — style fréquent dans les architectures d’universités, notamment en Amérique du Nord (Greek revival, au XIXè siècle), mais beaucoup plus rare en Ouzbékistan.

À environ six heures de train de Tachkent, Boukhara est une des plus anciennes cités d’Ouzbékistan, et même d’Asie centrale. Une guide touristique parfaitement francophone nous a raconté sa fondation légendaire, attribuée à un jeune et beau héros épique nommé Siavouche.

Étant arrivé dans ce qui était alors une oasis au milieu du désert, il s’éprit de la fille du roi local et voulut l’épouser. Mais le roi, réticent, exigea l’impossible en demandant au jeune homme de lui construire un palais sur la surface d’une peau de bœuf qu’il avait fait étendre devant lui. Loin de se décourager, Siavouche coupa la peau en très fines lanières et les disposa par terre bout à bout pour former un cercle — sur lequel fut construite la citadelle Ark que voici !

Cette fondation légendaire n’est pas sans rappeler la fondation mythique de Carthage (Afrique du Nord) par une femme que le poète Virgile, dans l’Énéide, appelle Didon.

Fille d’un roi phénicien, elle se serait appelée Élissa à Tyr, puis Didon à Carthage. Elle fut mariée à son oncle Sychée, qui fut assassiné à cause de sa grande richesse par le frère de Didon, Pygmalion, lorsque celui-ci était roi de Tyr. Didon se réfugia avec sa suite en Libye, et fonda la ville de Carthage. Un roi local, Iarbas, ayant promis de lui donner autant de terres que pouvait en contenir la peau d’un bœuf, Didon la fit couper en minces lanières qu’elle assembla bout à bout (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 314).

Boukhara s’enorgueillit d’être la patrie d’Abu Ali ibn Sina (né dans un petit village proche de cette ville en 980, mort en 1037), plus connu en Occident comme étant le fameux médecin et savant Avicenne. Versé en sciences multiples (médecine, mathématiques, chimie, astronomie, musique, philosophie et littérature), il a écrit plus de 450 ouvrages, dont 66 médicaux. 

Autres célébrités passées par Boukhara, Niccolo Polo, père de Marco Polo, et son frère Matteo y restèrent pendant trois ans, de 1261 à 1264. La ville abritait alors soixante caravansérails et chaque caravane comptait environ trois cents montures, principalement des chameaux. Ce serait à Marco Polo qu’on doit l’expression “Route de la Soie”, car parti de Venise, il était allé jusqu’en Chine. En caravane, les marchands parcouraient les routes de la Soie, immense voie commerciale à bifurcations s’étendant sur deux continents. 

À Boukhara, l’intérieur de la magnifique citadelle Ark se visite. On y voit d’anciennes salles du palais royal, incluant des écuries et des pièces-musées. Dans l’une d’elles j’ai vu une carte de voyage écrite en latin, préparée par un Anglais nommé Jenkinson, et éditée à Londres en 1562. 

Cette carte s’intitule Russiæ, Moscoviæ et Tartariæ descriptio (Description de la Russie, de la région de Moscou et du pays des Tartares). Il faut de bons yeux pour la déchiffrer, mais, malgré ses aspects fantaisistes, on peut distinguer la Mer Caspienne (Mare Caspium), et juste au-dessus le mot “Astrakan” (région située entre Boukhara et Khiva) — d’où le nom de la fourrure qui provient des moutons de cette région.

Après un voyage d’environ deux heures et demie en train, de Boukhara on arrive à Samarcande — incontestablement la ville la plus célèbre d’Ouzbékistan ! J’ai déjà parlé du séjour d’Alexandre le Grand dans cette ville, alors appelée Maracanda.

Mais on ne se lasse pas de revenir à Samarcande pour en admirer les superbes monuments du XVè siècle, entre autres les médersas (universités musulmanes) du Registan, les murs constellés de mosaïques de Chah i Zinda, les nombreuses mosquées … et le spectaculaire mausoleum de Saint Daniel.

Sur la colline d’Afrosiob se trouve le mausolée (ou mausoleum, en latin) du prophète Daniel (Hodja Danyar), qui vécut aux VI-Vè siècles avant notre ère, et dont l’histoire est relatée dans l’Ancien Testament. Persécuté, il fut livré aux lions, qui l’épargnèrent. Une légende dit que, au XVè siècle de notre ère, le héros national de l’Ouzbékistan, Amir Timur (Tamerlan, pour les Occidentaux), aurait recueilli à Suse une partie des reliques de Saint Daniel et les aurait fait enterrer à Samarcande. La légende veut aussi que le sarcophage ait miraculeusement grandi peu à peu, jusqu’à atteindre 18 m de longueur — le rendant impossible à voler pour des pilleurs de tombes !

Le monument qui l’abrite actuellement date du XXè siècle et a été construit sur l’emplacement originel de la tombe. C’est un lieu de pèlerinage.

Parmi les personnages hérités de la mythologie gréco-romaine, on rencontre dans la ville le cheval Pégase.

C’est une figure ailée insérée dans la rambarde d’un pont. C’est aussi une constellation répertoriée dans le Livre des étoiles constantes écrit par Al-Sufiy en 1437, dont l’illustration — une copie, car l’originale se trouve à la Bibliothèque Nationale à Paris — est exposée au musée de l’observatoire d’Ulug’Beg.

Cet observatoire (construit en 1428-29) et le musée moderne qui lui fait face attirent de nombreux curieux, émerveillés par les calculs précis d’Ulug’Beg, petit-fils d’Amir Timur, devenu gouverneur de Samarcande à l’âge de 16 ans, théologien, général d’armée et scientifique spécialisé en astronomie.

J’avais remarqué (et expliqué dans un article) une gravure montrant la notoriété de cet astronome d’Ouzbékistan figurant parmi ses pairs occidentaux sous l’égide d’Uranie, muse de l’Astronomie.

En visitant une deuxième fois ce musée, j’ai aperçu dans une vitrine une gravure presque similaire, mais où les personnages sont debout autour d’Uranie.

Cette gravure du XVIIè siècle met en scène l’astronome polonais Jan Geveliy, alias Johannes Hevelius, présentant avec déférence (il est incliné, au premier plan) son ouvrage Prodromus astronomiæ à la muse et à ses célèbres confrères, antiques et modernes, tels Hipparque, Claude Ptolémée, Tycho Brahe, Copernic, Riccioli, le roi Wilhelm IV … et Ulug’Beg — réunis dans l’espace et dans le temps.

La diffusion en Occident de l’œuvre d’Ulug’Beg, écrite originellement en persan et arabe, s’est faite grâce aux traductions en latin qu’en firent le directeur de l’observatoire de Greenwich (Londres) ainsi qu’un professeur de l’université d’Oxford. Au XVIIè siècle encore, le latin était la langue de communication entre les scientifiques.

L’astronomie est toujours une discipline très prisée en Ouzbékistan. Le musée mentionne qu’en 2009 le nom de Samarkand a été donné à un corps céleste récemment découvert.

Après Samarcande, ma dernière destination fut Khiva, à l’Ouest du pays.

Ville légendaire, elle remonterait à l’après-Déluge narré dans la Bible, car elle aurait été fondée par un fils de Noé ! Située dans l’oasis agricole de Khorezm, en bordure d’un désert, elle a vu passer de nombreuses armées, dont celle d’Alexandre le Grand. Depuis que cette ville est inscrite au Patrimoine de l’UNESCO (1990), ce sont des armées de touristes qui y défilent !

Khiva est formée d’une ville extérieure (faubourgs actuels) et d’une ville intérieure (appelée Ichan Qal’a) ceinte d’impressionnants murs en argile, épais de 6 à 8 m, hauts de 8 à 10 m, et s’étendant sur une longueur d’environ deux kilomètres. C’est à l’intérieur de ces fortifications que se trouvent les plus beaux monuments de la ville.

Entre le IXè et le XIIè siècle, de nombreuses institutions musulmanes d’enseignement avaient été fondées dans la région de Khorezm, devenue un carrefour économique à la croisée des différentes routes de la Soie, et un centre de civilisation mondiale.

À Gurganj (actuellement Urgench) notamment, il y a eu, de 1004 à 1017, une institution de scientifiques nommée Académie Mamun. Selon une notice (que j’ai traduite de l’anglais), les sciences laïques, telles que les mathématiques, la chimie, l’astrophysique, la géographie, la médecine, la pharmacologie, l’Histoire, la philosophie, la logique, le droit, la minéralogie, la politique, les langues et la littérature y avaient atteint un très haut degré. Sous la gouverne de Beruni, une école de médecine fut créée, où les scientifiques menèrent des recherches en médecine. Durant cette période, plusieurs centres médicaux furent établis dans des villes environnantes.

Beruni, astronome, fut le premier Oriental à créer un globe terrestre. Il était polyglotte (parlant 7 langues, dont le grec ancien et l’arabe) et il travailla dans l’école de médecine de pair avec Avicenne, son contemporain. Par ailleurs, les travaux en mathématiques et géographie du savant Mohammed Al-Khoresmi étaient déjà connus en Europe. La postérité a fait de son nom le mot “algorithme” !

Toutes ces informations (ci-dessus en italiques) sont affichées dans le musée de la Médecine à Khiva.

En revanche, il n’y a pas de commentaires sur les “pères fondateurs” de la Médecine. Il semble aller de soi que tout le monde connaît le célèbre médecin Hippocrate de Cos (460-370 avant notre ère) — au nom duquel les futurs médecins de notre époque prêtent toujours serment.

De même connaît-on le philosophe, féru de biologie, Aristote (384-322) — qui fut le précepteur d’Alexandre le Grand avant de fonder le Lycée, en 335, à Athènes. Le Lycée se caractérisa par des recherches savantes très variées, littéraires, scientifiques et philosophiques (Dictionnaire de l’Antiquité, p. 94).

En définitive, assez semblable aux buts du Lycée d’Aristote, l‘Académie Mamun avait dû cesser ses activités en 1017, après l’invasion de la région de Khorezm par Mahmud Gaznavi. Mais, en 1997, la Khorezm Mamun Academy fut réorganisée sur l’ordre d’Islam Karimov, 1er président de la République d’Ouzbékistan.

J’ai beaucoup appris pendant ces deux semaines en Ouzbékistan !

 

 

 

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