Ce dragon vert et ce dragon rouge — couleurs complémentaires — symbolisent l’harmonie, la paix, sur cette murale de Chinatown, à San Francisco. C’est d’ailleurs ce que signifie l’idéogramme entre leurs pattes griffues.
Acceptons-en l’augure pour l’année à venir du Dragon, commençant le 10 février 2024 et finissant le 28 janvier 2025 !
Symbole ambivalent, négatif en Occident, mais généralement positif en Extrême-Orient, le dragon est le seul signe chimérique du zodiaque chinois — lequel est également en vigueur au Japon.
Pourquoi cette ambivalence ? Que représentait le dragon dans la civilisation gréco-romaine, puis européenne chrétienne ? Et dans le monde extrême-oriental ?
Étymologiquement, le mot “dragon” vient du nom grec δράκων qui signifie d’abord “dragon, animal fabuleux”, puis “serpent”. Ces sens, attestés par Homère et par les dramaturges Eschyle, Sophocle et Euripide pour évoquer des créatures monstrueuses — instruments d’un châtiment divin ou gardiens de trésor — se retrouvent dans le nom latin dracō, qui en est issu.
En passant, le grec Δράκων (avec une majuscule) est un nom propre, celui de Dracon, législateur d’Athènes, qui promulgua en 621 av. J.-C. un code de lois notoirement sévères (d’où l’adjectif “draconien”), presque tous les délits étant punis par la peine de mort. Quand on lui demandait pourquoi, il répondait que les petits délits méritaient la mort et qu’il ne connaissait pas de punition plus sévère pour les grands (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 328).
Entre le nom de ce législateur et un dragon, la ressemblance est fortuite, mais l’analogie serait possible car ils sont tous deux “annonciateurs” de mort !
Dans la mythologie grecque, le dragon est souvent assimilé à un serpent fabuleux au regard paralysant qu’un héros devra vaincre.
C’est le cas d’Héraclès/Hercule, dont un des plus spectaculaires combats est celui contre l’Hydre de Lerne, un serpent venimeux qui habitait les marais de Lerne près d’Argos. L’hydre avait neuf têtes, et lorsque l’une d’elles était coupée, une autre repoussait à sa place (Antiquité, p. 486). Le héros eut recours à l’aide de son compagnon Iolaos pour abattre l’hydre — exploit qui fut le deuxième de ses Douze Travaux.
Le numéro onze de ces Travaux étant d’aller chercher des pommes d’or du Jardin des Hespérides, Héraclès dut alors se battre avec Ladon, le dragon qui gardait le jardin, avant d’emporter les pommes (ibid. p. 487).
Pour représenter l’Hydre de Lerne (tableau de 1875, Art Institute Museum, Chicago), le peintre Gustave Moreau s’est peut-être inspiré d’un vase (du 4è s. av. J.-C., Musée archéologique de Naples) où le dragon figure sous forme d’un serpent gigantesque. On distingue bien le monstre enroulé autour d’un arbre doré, entre deux personnages mythiques : Médée et Jason.
En effet, le Grec Jason avait monté l’expédition des Argonautes pour conquérir la Toison d’or, et il dut affronter un dragon qui ne dormait jamais et veillait sur ce trésor. Mais à peine Jason était-il arrivé dans son pays que Médée, la fille d’Aeétès, roi de Colchide, tomba follement amoureuse de lui. Comme Médée était magicienne, elle aida Jason grâce à ses enchantements.
Dans les Métamorphoses, Ovide raconte comment Médée neutralise le monstrueux gardien : Il restait encore à endormir par la vertu des herbes le dragon vigilant qui attirait tous les regards par sa crête, ses trois langues et ses dents recourbées, monstre hideux qui gardait l’arbre resplendissant de l’éclat de l’or. Médée jette sur lui une plante dont le suc a les effets du Léthé (lieu d’oubli dans l’Au-delà, mot qui a donné “léthargie”) ; trois fois elle prononce des paroles qui amènent un sommeil paisible. Le sommeil gagne ces yeux qu’il ne connaissait pas, et le héros s’empare de la toison d’or (Livre VIII, traduction de Georges Lafaye, 1925-30).
Animal fabuleux, gardien de trésor, un dragon peut également être — parmi les significations du mot latin dracō — une constellation, une enseigne militaire de la cohorte romaine (de là, peut-être le nom de “dragon” donné au soldat de la cavalerie française au XVIIè s. et au moderne régiment de blindés ?), une sorte de cornue pour chauffer de l’eau, un poisson de mer, et un vieux cep de vigne tout tordu (souvent mentionné par le naturaliste Pline l’Ancien). Certains de ces multiples sens se réfèrent par analogie à la forme serpentine du dragon antique.
En latin ecclésiastique, dracō est le Serpent, le Diable, Satan, mentionné dans la Bible. Dans l’iconographie chrétienne, saint Georges et saint Michel combattent un Dragon — ce qui illustre la lutte du Bien contre le Mal.
Ces deux icônes — l’une, du XVIIè-XVIIIè s. exposée au Musée byzantin de Thessalonique, l’autre, de date inconnue, exposée dans une église de Pleven, en Bulgarie — représentent saint Georges terrassant un dragon rouge, à la gueule béante et à la peau coriace. C’est LE dragon, par excellence, et il ne saurait être vaincu que par un saint, ou par le Christ lui-même.
À cause de cet héritage légendaire et religieux, on comprend pourquoi le dragon n’a pas bonne presse en Occident.
En revanche, le dragon chinois serait une créature aimable et sans malice — mais avec quelques nuances.
En Extrême-Orient, le dragon comporte des aspects divers en ce qu’il est animal aquatique, terrestre — voire souterrain — et céleste à la fois.
Puissance céleste, créatrice, ordonnatrice, le dragon est tout naturellement le symbole de l’empereur. Il est remarquable que ce symbolisme s’applique non seulement en Chine, mais chez les Celtes, et qu’un texte hébreu parle du Dragon céleste comme “d’un roi sur son trône”. Il est en effet associé à la foudre (il crache du feu) et à la fertilité (il amène la pluie). Il symbolise ainsi les fonctions royales et les rythmes de la vie, qui garantissent l’ordre et la prospérité. C’est pourquoi il est devenu l’emblème de l’empereur. Le dragon est une manifestation de la toute-puissance impériale chinoise : “la face du dragon” signifie “la face de l’empereur” ; “la démarche du dragon” est l’allure majestueuse du chef ; “la perle du dragon”, qu’il est censé posséder dans la gorge, est l’éclat indiscutable de la parole du chef, la perfection de sa pensée et de ses ordres. “On ne discute pas la perle du dragon”, déclarait encore Mao (Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 366-369).
Au Musée Belz de Memphis (États-Unis), ce magnifique bateau en ivoire et os représente un dragon tenant dans sa gueule une perle. La notice rapporte la croyance selon laquelle le tonnerre, c’est le bruit que font les dragons qui poursuivent les perles à travers le ciel, et que, lorsque leurs griffes percent le plancher du firmament, il se produit un éclair !
Dans toute la culture asiatique, le dragon est une créature que l’on révère, parce qu’il possède des forces bénéfiques, notamment le pouvoir de contrôler l’eau, la pluie, les ouragans et les inondations. Le dragon vert symbolise l’Est, région du soleil levant, de la fertilité et de la pluie.
Au Japon, on l’associe au bassin des ablutions, comme, par exemple, celui du temple Kibitsu Jinja, près d’Okayama, au sud de Kobe.
C’est aussi la raison pour laquelle, malgré son symbolisme impérial, on a pu le rejeter, ou le dénigrer, parce que des inondations successives entraînaient des récoltes mauvaises, ou même pas de récolte du tout — donc une famine que l’empereur ne pouvait empêcher.
De nos jours, cependant, le dragon est toujours utilisé dans la culture sino-japonaise comme élément décoratif. Et, dans les horoscopes, le dragon est un symbole de grandeur de caractère et un porte-bonheur.
Pour finir, oserai-je vous faire un aveu ? Je suis née sous le signe du Dragon !