La Nouvelle-Orléans (New Orleans, en anglais) — j’y ai passé quelques jours fin mai, afin d’achever sur une French touch une croisière sur le Mississippi.
Il m’est impossible de dire que j’ai tout vu de la Nouvelle-Orléans, mais j’y ai beaucoup marché et circulé pour découvrir des quartiers bien distincts : French Quarter, Central Business District, Warehouse District, Garden District etc.
Cette belle ville, qui a connu des influences européennes diverses avant de devenir “américaine” en 1803, a vu s’épanouir, comme d’autres villes des États-Unis entre 1825 et 1860, le mouvement Greek Revival — style d’architecture inspiré par les monuments de la Grèce classique du Vè siècle avant notre ère, berceau de la démocratie.
Je ne propose pas ici un parcours guidé bien ordonné et exhaustif, mais quelques-unes de mes trouvailles au fil de mes promenades : un florilège de références au monde gréco-latin de l’Antiquité !
L’architecture néoclassique des XVIIIè et XIXè siècles (comme celle de la Maison Blanche à Washington, bâtie entre 1792 et 1800) a emprunté ses critères non seulement aux temples grecs, mais aussi à l’architecture des villes de l’Empire romain (comme certains monuments érigés à Paris sous Napoléon Ier).
À la Nouvelle-Orléans, dans le Business District, l’ancien hôtel de ville, Gallier Hall, achevé en 1853, se rattache au néoclassicisme et au mouvement Greek Revival.
Il offre la façade d’un temple grec, avec ses colonnes au fût cannelé, surmontées de chapiteaux ioniques, et son tympan triangulaire où l’on distingue un groupe de personnages. Au centre du groupe, l’allégorie de la Justice, une statue de femme aux yeux bandés, portant un glaive et une balance. Elle est flanquée d’une statue féminine de chaque côté (mais je ne sais pas ce qu’elles symbolisent). Et à l’extrême-gauche du tympan se trouve un aigle — attribut du roi des dieux grecs antiques, Zeus, et qui, de nos jours, est devenu un des symboles des États-Unis.
Non loin de là, j’ai vu une autre statue allégorique — plus facile à identifier. Il s’agit de l’Abondance, reconnaissable aux deux “cornes” pleines de fruits et légumes qu’elle retient de ses mains.
D’ailleurs cette frise, datant de la fin du XIXè siècle, révèle la persistance des motifs antiques (littéraires, mythologiques ou politiques) dans la décoration des immeubles cossus de la Nouvelle-Orléans.
Quant aux bâtiments construits par des architectes du mouvement Greek Revival, qui a succédé au néoclassicisme, ils présentent aussi des caractéristiques “à la grecque”, auxquelles vont s’ajouter des influences italiennes.
En témoignent ces élégantes maisons dans le Garden District, où abondent de telles constructions avec de somptueux jardins.
La résidence Robinson Mansion, construite entre 1857 et 1867 pour un riche marchand de tabac, Walter Robinson, expose une double galerie de colonnes aux chapiteaux des trois ordres : dorique, ionique et corinthien. Sur sa clôture en fer forgé, un panneau explique qu’elle a été inspirée par l’architecte italien du XVIè siècle, Andrea Palladio.
Dans le même district on trouve d’autres demeures avec des caractéristiques “à la grecque” : symétrie créant une impression d’équilibre, colonnes et chapiteaux, pilastres (piliers qui ressemblent à une colonne collée contre un mur), blancheur des matériaux imitant le marbre antique.
Et, pour ajouter à l’atmosphère gréco-latine, les rues portent des noms très spécifiques. La Coliseum street est un grand axe où se croisent les Muses (mais je n’ai pas réussi à trouver les 9) !
Les Muses, filles de Zeus et de Mnémosyne (Mémoire), étaient les déesses de la Littérature, de la Musique et de la Danse, puis, plus tard, de toutes les activités intellectuelles … À l’époque romaine, chaque muse représentait un art particulier : Calliope, la poésie épique, Melpomène, la tragédie, Polymnie, les hymnes aux dieux et, plus tard, la pantomime, Uranie, l’astronomie … (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 654).
Dans un jardin, un masque de faune “antique” grimaçant trouve un écho “moderne” dans les masques du Mardi-Gras.
Les origines du “Mardi-Gras”, fête renommée, remontent à 1699, quand le fondateur de la colonie de Louisiane, Pierre Le Moyne sieur d’Iberville, débarqua au Sud du delta du Mississippi un jour de mardi gras. Il nomma l’endroit d’après ce jour. On ne sait pas si les habitants célébraient “Mardi-Gras” quand la Nouvelle-Orléans fut fondée en 1718 (par Jean-Baptiste Le Moyne sieur de Bienville, frère de Pierre), mais on sait qu’à la fin des années 1700 les bals costumés étaient très populaires. De nos jours, le “Mardi-Gras” c’est une immense partie de plaisir et une célébration multiculturelle, avec des influences européennes, africaines, américaines des Caraïbes etc.
Pendant cette fête, un roi (rex en latin) est choisi. J’ai vu ce nom latin sur un immeuble, près de la Cathédrale St Louis (photo en tête de l’article) et sur une gravure ancienne dans une vitrine.
La gravure, intitulée Rex proclaims Mardi-Gras, raconte un événement historique. Mais c’est l’esprit du Carnaval que de renverser les normes, et l’on voit ici comment est traité de façon burlesque l’achat de la Louisiane par les Américains en 1803.
En effet, un “roi” du Mardi-Gras (rex) figure entre Thomas Jefferson, 3è président des États-Unis, et Napoléon Bonaparte — tous deux ayant conclu la vente pour 15 millions de dollars. À l’époque, le vaste territoire appelé “Louisiane” et possession française (rachetée à l’Espagne), faisait environ 600 millions d’acres — ce qui doubla d’un seul coup la superficie des États-Unis d’alors. L’ironie, c’est que l’inscription latine Pro Bono Publico au-dessus de la couronne signifie “Pour le bien public”, alors que Napoléon a vendu l’ex-colonie française pour amasser des fonds en vue de combattre la Grande-Bretagne — qui l’a vaincu !
Malgré les apparences, je n’ai pas perdu de vue mon sujet gréco-latin.
De rex on passe à César (Caesar, en latin), qui, après avoir été tout-puissant à Rome pendant quelques années du Ier siècle avant notre ère, a symbolisé au cours des âges le Pouvoir, militaire et politique. Dans la Nouvelle-Orléans moderne, on a donné son nom à un immense stade multisports ouvert en 1975.
Et dans l’impressionnant musée consacré à la Seconde Guerre Mondiale (National WWII Museum), fondé en l’an 2000 et situé dans le Warehouse District, j’ai vu dans une vitrine deux certificats décernés à des marins — placés sous la “protection” du dieu latin des mers Neptunus (Neptune) Rex.
La notice indique que les marins de l’US Navy qui franchissaient la ligne de l’équateur obtenaient un certificat Neptunus Rex et une forme de “promotion” (consistant à changer de statut). Pendant la Seconde Guerre Mondiale, ces certificats furent fréquemment attribués aux équipages qui croisaient dans le Pacifique.
Neptune (alias Neptunus), dieu des mers, c’est Poseidon en Grèce, qui a aussi sa place dans la ville louisianaise — la gastronomie locale utilisant abondamment et savamment les produits de la mer !
Alors, pour rester dans la note de l’Antiquité, quoi de plus naturel pour moi que de profiter de cette publicité affichée dans la rue pour aller manger les délicieuses huîtres de la Nouvelle-Orléans ?