Si, de nos jours, pouvoir nommer un empereur de la Rome antique est encore assez facile (Auguste, Néron, Hadrien …), nommer une impératrice romaine l’est beaucoup moins.
Pourtant, L’Histoire, le plus souvent, a été écrite par les hommes. Mais elle a souvent été faite par les femmes, écrit Guy Schoeller au verso de la couverture du Dictionnaire des femmes célèbres, dans la collection Bouquins qu’il a dirigée.
En ce jour de célébration des Femmes, après avoir fait au cours des années passées les portraits de Grecques, puis de Romaines célèbres, je me suis intéressée à trois épouses d’empereurs romains, trois femmes connues sous le titre d’impératrice.
La première impératrice, chronologiquement et logiquement parlant, est Livie, femme d’Auguste, le premier empereur.
En latin Livia Drusilla, Livie est née en 58 avant notre ère et morte en 29 de notre ère, à l’âge de 87 ans. On apprend des détails sur sa vie à travers les écrits de plusieurs historiens ou biographes (notamment Tacite et Suétone) — qui se sont davantage consacrés à écrire l’histoire d’Auguste que celle de Livie !
Quelle fut la place de Livie dans l’arbre généalogique complexe de la dynastie julio-claudienne, c’est-à-dire la famille de l’empereur Auguste, lui-même petit-neveu de Jules César ?
Selon le Dictionnaire de l’Antiquité (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 574), Livie épousa d’abord Tiberius Claudius Nero, dont elle eut pour enfants l’empereur Tibère et Claudius Drusus, père de l’empereur Claude ; puis elle épousa l’empereur Auguste.
Ce dernier l’avait séduite lors d’un banquet, alors que, âgée d’à peine 20 ans, elle attendait son deuxième enfant, et il la pressa de divorcer pour pouvoir l’épouser — une situation qui ne manqua pas de susciter opinions et commentaires variés.
Suétone manifeste une évidente sympathie à l’égard d’Auguste, écrivant qu’il épousa Livia Drusilla, qu’il enleva à son mari Tibère Néron, quoiqu’elle fût enceinte. Il eut pour elle l’amour le plus tendre et l’estime la plus constante. Puis, poursuivant le portrait de l’empereur, Suétone ajoute qu’à son dernier jour, Auguste expira au milieu des embrassements de Livie en prononçant ces mots : Adieu, Livie, souviens-toi de notre union, adieu (Vies des douze Césars, Auguste, LXII et XCIX, traduction revue par l’Université de Louvain, 2001).
Même s’il est “en creux”, le portrait de Livie qui se dégage de ce que Suétone raconte est laudatif. C’est une femme qui a inspiré des sentiments nobles ; elle a par conséquent quelque mérite !
En effet, Livie était une femme digne, très belle. Comme toute femme en vue, elle fut à l’origine d’une mode : celle du petit chignon appelé nodus (littéralement, “nœud de cheveux”), représenté en guise de frange sur le visage de l’impératrice.
On dit aussi qu’elle avait de l’intelligence et du tact et qu’elle menait une maison ordonnée et bien réglée. Cependant, il est impossible de dire à quel point elle exerça une influence sur les affaires de l’État, mais Auguste appréciait ses avis, et elle gagna la considération du peuple romain (Antiquité, p. 574).
Tacite, lui, rapporte des critiques sur la vie privée de l’empereur — critiques exprimées après le décès de celui-ci ! Mais il expose les dernières volontés d’Auguste qui, ayant perdu tous ses héritiers directs, morts prématurément, avait adopté le premier fils de Livie, Tibère.
On comprend donc pourquoi, dans son testament, il nommait Tibère et Livie ses héritiers. Livie était adoptée dans la famille des Jules, et recevait le nom d’Augusta (Annales, I, 8, traduction revue par l’Université de Louvain). Livie fut ensuite connue sous le nom de Julia Augusta — qualificatif honorifique qui donne une aura divine à l’impératrice, de même que le titre d’Augustus divinise l’empereur.
Malheureusement, Tibère, hostile à toute possible intervention de sa mère dans son “métier” d’empereur, refusa les honneurs à elle décernés par le sénat : le titre honorifique de “Mère de la patrie” ainsi que sa divinisation (ou apothéose).
Tacite, qui relate dans son œuvre les travers des successeurs d’Auguste, explique l’attitude de Tibère ainsi : La vérité est que son inquiète jalousie voyait dans l’élévation d’une femme son propre abaissement (Annales, I, 14).
En faisant le récit de sa mort, Tacite rappelle quelle fut la place de Livie dans la dynastie julio-claudienne et lui rend hommage sans flatterie : Sous les consuls Rubellius et Fufius … mourut, dans un âge avancé, Julia Augusta, héritière de la noblesse des Claudii, réunie par adoption à celle des Livii et des Julii. Elle fut mariée d’abord à Tiberius Nero. Déjà mère et enceinte de nouveau, César (c’est-à-dire Auguste) épris de sa beauté, l’enleva à son mari (on ne sait pas si ce fut malgré elle) ; et, dans son impatience, il en fit son épouse, sans attendre même qu’elle fût accouchée. Il n’eut pas d’enfant de ce dernier mariage, mais l’union d’Agrippine et de Germanicus mêla son sang à celui d’Auguste, et lui donna des arrière-petits-fils communs avec ce prince. Elle fut pure dans ses mœurs, comme aux anciens jours, prévenante au-delà de ce qui semblait permis aux femmes d’autrefois, mère impérieuse, épouse complaisante, le caractère enfin le mieux assorti à la politique de son époux, à la dissimulation de son fils. Ses funérailles furent modestes, son testament longtemps négligé (Annales, V, 1).
Ironie de l’Histoire : ce fut son petit-fils Claude, devenu empereur, qui la divinisa !
Au cours du siècle suivant, vécut Plotine (Plotina Pompeia), impératrice romaine, née à Nîmes, en Gaule romaine, en 70.
Elle épousa Trajan avant l’élévation de celui-ci à l’Empire (il fut empereur de 98 à 117 de notre ère). Modeste, mais remarquablement intelligente, sa connaissance des doctrines épicuriennes et son énergie lui permirent de seconder l’empereur, indique le Dictionnaire des femmes célèbres (p. 694).
D’ailleurs, Pline le Jeune en fait un portrait enthousiaste, l’associant à son mari dont il fait l’éloge : Pour vous, César (c’est-à-dire Trajan), la femme que vous avez épousée augmente votre gloire. Y a-t-il rien de si accompli, rien de si respectable qu’elle ? … Rien approche-t-il de la constante vénération qu’elle montre, non pour votre puissance, mais pour votre personne ! Vous vous aimez comme vous vous aimiez auparavant … Quelle simplicité dans sa parure ! quelle modestie dans son train de vie ! quelle affabilité dans son air ! C’est à Trajan qu’elle doit tant de vertus ; c’est lui qui l’a formée de la sorte : car la plus grande gloire d’une femme, c’est de savoir suivre de sages conseils (Panégyrique de Trajan, traduction de M. de Sacy, 1808, BNF Gallica).
Le discours de Pline, prononcé en l’année 100 de notre ère, donne une vision laudative, remarquable pour l’époque, de l’intelligence et de l’habileté de l’impératrice Plotine.
Elle fut aussi à l’origine de l’accession au trône impérial d’Hadrien en le faisant entrer dans la famille de Trajan par un mariage avec sa petite-nièce, Sabina — mariage qui, en définitive, ne fut pas heureux.
Au XXè siècle, dans son roman historique Mémoires d’Hadrien (1951), Marguerite Yourcenar fait raconter par le personnage d’Hadrien ses entretiens avec Plotine qu’il appelle Muse, impératrice déjà divine, le plus sage de mes bons génies.
Finalement, lorsque Hadrien succéda à Trajan en 117, il voulut que Plotine conservât son rang d’impératrice et, à sa mort, obtint son apothéose du Sénat. Il fit élever en son honneur un temple à Rome et une basilique à Nîmes — où elle mourut, en 129 (Dictionnaire des femmes, ibid.).
La troisième impératrice, belle et intelligente, elle aussi, est Julia Domna, qui vécut aux IIè et IIIè siècles (née vers 158, morte en 217).
Selon le Dictionnaire des femmes célèbres, D’origine syrienne, fille de Julius Bassianus, prêtre du soleil, elle était destinée, selon un oracle, à devenir impératrice. Vers 170, elle épousa Septime Sévère, général de Marc-Aurèle. Elle eut sur son mari une très grande influence. C’est elle qui le poussa à briguer l’empire en lui donnant le courage d’éliminer ses concurrents. D’où elle acquit la réputation d’être une femme redoutable — réputation qui la précéda quand elle se rendit en Grande-Bretagne avec Septime Sévère afin de mener une expédition punitive contre l’Écosse.
Elle s’entoura de philosophes et d’écrivains tels que Philostrate, Diogène Laerce, Élien. Après la mort de Septime Sévère en 211, elle essaya d’apaiser les rivalités entre ses deux fils, Geta et Caracalla, mais le premier fut tué par son frère.
Caracalla, qui souffrait de troubles mentaux, poignarda mortellement Geta alors que sa mère était en train de l’embrasser, révèle le Dictionnaire de l’Antiquité (p. 552).
Puis Caracalla devint empereur, et sa mère l’aida à gouverner. Quand il fut assassiné en 217, elle se laissa mourir de faim (Dictionnaire des femmes, p. 446).
Elle est morte à Antioche, et je ne sais pas si elle fut divinisée.
Atouts indispensables pour le curriculum vitae de qui pouvait “être impératrice à Rome” — les qualités personnelles et points communs de ces trois femmes sont la beauté, l’intelligence et l’instruction, l’intérêt pour le Pouvoir, et le désir d’aider leur mari. Car l’impératrice était “consort” d’un empereur et, à la différence d’une Catherine II de Russie au XVIIIè siècle, n’exerçait pas de pouvoir personnel. On dit qu’Agrippine, mère de Néron, voulut s’arroger des pouvoirs impériaux pendant que son fils était jeune, et elle en fut bien punie. Mais ceci est une autre histoire.