Istanbul était le terminus de mon voyage en Europe, commencé à Prague.
J’y suis restée trois jours, et, avec l’aide d’un excellent guide, j’ai pu en découvrir une bonne partie (à pied, en métro, en tramway et en bateau). Mais je me suis particulièrement intéressée aux sites et monuments du quartier Sultanahmet, où se trouvent ancien site grec, vestiges romains et quartiers généraux de l’administration ottomane — ce qui constitue l’essence de cette ville qui changea plusieurs fois de nom.
En effet, fondée par des Grecs de Mégare au VIIè siècle avant notre ère, elle s’est appelée Βυζάντιον, Byzance — du nom de son fondateur, un certain Byzas — et fut un objet de convoitise successivement pour les Perses, les Macédoniens, et les Romains, parce qu’elle était magnifiquement située, commandant les deux rives opposées de l’Europe et de l’Asie (Mineure), avec l’avantage de la sécurité et d’une grande facilité pour commercer.
Byzance passa ensuite sous la domination de l’Empire romain, tout en demeurant de culture grecque ; l’empereur Constantin la choisit comme nouvelle capitale (en 330 après J.-C.), et elle fut désormais connue en Occident sous le nom de Constantinople (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, Éd. Robert Laffont, p. 163-165).
Constantinople (Constantinopolis) était donc “la ville de Constantin”, qui avait déplacé sa résidence de Rome à Byzance — d’où le terme de “civilisation byzantine” pour caractériser l’histoire et la culture grecques de la période (prise au sens le plus large) allant de 330 jusqu’à 1453 (ibid.).
Au demeurant, culture connue pour sa splendeur et son opulence !
Après d’autres conquêtes étrangères au cours des croisades du XIIIè siècle, elle tomba aux mains des Turcs en 1453 et, devenue capitale de l’Empire ottoman, fut appelée Istanbul — le nom qu’elle porte encore.
L’étymologie d’Istanbul est d’ailleurs controversée : pour les uns, il s’agit de la contraction et déformation de Constantinople : (stan) + (ple —> ble —> bul). Pour d’autres linguistes cela pourrait venir de l’expression grecque εἰς τὴν πόλιν (eis ten polin), “vers la ville”.
De l’époque de Constantin le Grand, on peut voir, non loin du Grand Bazar, le lieu de l’antique forum où se dresse la “Colonne de Constantin”.
Cette colonne, haute de 57 mètres, est formée de 8 petites colonnes en porphyre d’Égypte de 3 mètres de diamètre et pesant chacune 3 tonnes. Elle fut enlevée du temple du dieu Apollon à Rome en 330, et érigée sur le forum dit “de Constantin”. Au cours des siècles, elle subit des transformations (à son sommet) et destructions (foudre, feu). Finalement, au XVIIIè siècle, le Sultan Mustafa II en fit spécialement renforcer la structure par l’ajout d’anneaux de fer autour de la colonne — ce qui explique le nom moderne du site : Çemberlitaς (“colonne avec anneaux”).
Constantin fit aussi achever un édifice grandiose : l’hippodrome (commencé en 203 sous l’empereur Septime Sévère) pour les populaires courses de chars. On ne voit plus maintenant que son emplacement. Mais là où il y avait la spina (mur peu élevé qui traversait le Cirque), se dresse un grand obélisque rapporté d’Égypte et appelé “l’obélisque de Théodose”.
Théodose le Grand, empereur romain de 388 à 395, baptisé en 380, lutta contre les hérésies et supprima les dernières manifestations du paganisme dans l’Empire, fondant ainsi le premier État chrétien orthodoxe. C’est ce qui lui valut le titre de “Grand”. À sa mort, l’Empire romain fut divisé en empire d’Orient et empire d’Occident (Dictionnaire de l’Antiquité, p. 987-988).
Près de l’hippodrome, on peut encore voir les murs romains qui entouraient la cité — les fortifications les plus solides du monde de cette époque, dit-on.
Pour en revenir à Constantin, bien que sa conversion au christianisme ait été tardive — la Tradition dit qu’il se serait converti seulement sur son lit de mort en 337 — il légalisa la pratique de cette religion à l’intérieur de l’Empire et fit construire la première Hagia Sophia (ou Sainte-Sophie, l’église de la Sainte Sagesse) sur l’emplacement de l’antique agora grecque. Église en bois, elle brûla dans un incendie, puis fut reconstruite sous l’empereur Justinien au VIè siècle.
La mosquée qui se tient actuellement à cet endroit est le troisième édifice à porter le nom de Hagia Sophia. C’est un bâtiment intérieurement magnifique, très fréquenté par les fidèles et les touristes (voir photo en haut de l’article) !
Grand bâtisseur, Constantin s’attaqua au problème de l’approvisionnement en eau, la ville n’ayant pas de sources. Il fit venir de l’eau par un aqueduc situé le long du Bosphore, le canal qui relie la Mer Noire (Pontus Euxinus) et la Mer de Marmara (Propontis). Cette eau était ensuite stockée dans d’énormes citernes pouvant contenir des milliers de litres.
La citerne ne fut pas terminée du vivant de Constantin, mais plus tard, sous Justinien.
En effet, Justinien, empereur romain de Constantinople (de 527 à 565), perpétua son nom en érigeant des centaines d’églises, d’aqueducs et d’autres édifices publics, souvent d’une splendeur remarquable, à travers tout l’Empire ; rien qu’à Constantinople il fit construire vingt-cinq églises en plus de l’admirable Sainte-Sophie (Dictionnaire de l’Antiquité, p. 555-557).
La citerne que j’ai visitée est une immense cave qui, avec ses colonnes et ses arcades, s’étend comme une cathédrale sous les rues d’Istanbul. Le lieu est impressionnant, et son atmosphère presque irréelle, à cause des reflets de lumière et du clapotis de l’eau !
Il y a 28 rangées de 12 colonnes chacune, d’une hauteur d’environ 12 mètres, et ornées de motifs variés car elles proviennent des pays conquis par Justinien. L’une d’elle est constellée d’yeux de paon, animal symbole de résurrection dans la culture byzantine.
Deux colonnes plus courtes ont été rallongées par des bases faites de têtes de la Gorgone Méduse, placées dans différents sens. On distingue bien les serpents constituant la chevelure de cette créature monstrueuse dont le regard pétrifiait.
D’ailleurs les cuirasses de certains empereurs romains portaient une effigie de Méduse, censée pétrifier les ennemis au combat !
Le mythe inspire toujours les artistes … et les restaurateurs !
Dans la citerne, non loin de la colonne-Méduse il y a une statue en métal forgé à froid, datant de 2019, qui représente Méduse tout hérissée de serpents, et qui s’intitule “Solitude”.
Et dans la rue voisine du site de la citerne, j’ai vu la maison Medusa — de toute évidence un restaurant moderne !
C’est la magie d’Istanbul : dans cet environnement cosmopolite et polyglotte, la modernité du latin, du grec et de la culture gréco-romaine semble aller de soi.
Ainsi, dans le Grand Bazar ai-je aperçu une boutique Vénus, où depuis 1974 un joaillier expose des parures et bijoux — hommage à la déesse de l’Amour et de la Beauté —
de même qu’un restaurant Aphrodite, situé près du port peut-être parce que la déesse est née de l’écume des flots marins (?)
Un magasin De facto a de fait accroché mon regard dans une des rues les plus commerçantes d’Istanbul, côté “Asie”.
Mais là où le latin rencontre la modernité avec une touche d’humour anglais, c’est dans la publicité pour une compagnie de bus aboutissant à une croisière sur le Bosphore.
De Bosphorus latin on passe à Bus for us (littéralement, “un bus pour nous”), et on embarque sur un bateau qui relie l’Europe à l’Asie — souvenir du mythe d’Io et de sa traversée du “Gué de la Vache” (sens étymologique du nom “Bosphore”) !
Amateurs de sensations fortes, je vous recommande Istanbul — ville où nos 5 sens sont délicieusement sollicités !