Prague (septembre 2022)

J’ai passé trois jours à Prague début septembre, pour commencer en beauté un voyage en Europe. C’est, en effet, une ville magnifique, dans laquelle j’ai beaucoup marché, le nez en l’air (et l’appareil photo en main) pour admirer son remarquable patrimoine architectural. 

Bien qu’elle ne soit pas à proprement parler une ville de l’Antiquité — elle a été fondée au Moyen Âge (Xè siècle) — Prague recèle de nombreuses références à la Grèce et à Rome, du fait des différents styles architecturaux (Renaissance et Baroque, néoclassique, néo-renaissance, néogothique, rococo etc.) qui y sont représentés. 

Sauf à écrire un long article d’encyclopédie, il est impossible d’inventorier tout ce que Prague a à offrir aux regards, même en peu de jours. Mais je propose ici un florilège gréco-latin de ce qui m’a frappée, ou amusée, lors de ce court séjour.

L’origine du nom de “Prague” (en tchèque “Praha”) est incertaine, mais la ville a reçu plusieurs surnoms et devises au fil du temps.

Elle a été Praga Caput Regni (Prague, Capitale du Royaume) à l’époque médiévale.

Puis, Praga mater urbium (Prague, mère des villes) au cours du XXè siècle, pour exprimer sa prééminence parmi les villes du pays qui était alors la Tchécoslovaquie.

Tasse de Prague

Actuellement, on l’appelle “la ville aux cent clochers” ou “la ville aux cent tours” — en anglais ‘City of a Hundred-Spires‘. Mais sa devise est devenue Praga Caput Rei Publicæ (Prague, Capitale de la République) — République tchèque depuis 1993.

Par “clocher” ou “tour” on désigne les flèches des nombreuses églises, mais aussi d’autres tours. La plus regardée de ces tours est, sans aucun doute, celle du vieil hôtel de ville sur laquelle se trouvent les deux cadrans d’horloge dans le cœur historique de la ville — site devenu patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1992. D’ailleurs c’est à Prague que séjournèrent au cours du XVIè siècle les astronomes danois Tycho Brahe (qui y est décédé) et allemand Johannes Kepler.

L’horloge astronomique, installée en 1410, est la plus vieille horloge qui fonctionne encore dans le monde. Sur son cadran on distingue des mots latins : dans la partie bleu ciel, à gauche, le nom ortus (le lever des astres, d’où vient “orient”) et à droite, le nom occasus (le coucher des astres, d’où vient “occident”). Dans la partie rouge sombre, à gauche, le nom aurora (le Levant ou Aurore, la déesse), et à droite, crepusculum (le crépuscule, l’obscurité). Les couleurs du cadran sont symboliques du jour et de la nuit. De plus, au-dessus du cadran sont placées des statues qui ont une valeur morale liée au Temps : à gauche, un personnage qui tient un miroir, symbole de la vanité des choses terrestres marquées par leur caractère éphémère, et à droite, un squelette symbolisant la mort.

Non loin de cette horloge astronomique s’étend la grande place (Staromestké námestí) où figure la statue érigée en hommage à Jan Hus (qui prêcha contre les abus de l’Église catholique et fut condamné à mourir sur le bûcher en 1415). Une plaque métallique, également relative au Temps, est insérée dans le pavement de la place.

L’inscription latine Meridianus quo olim tempus pragense dirigebatur peut se traduire littéralement par : Le méridien par où autrefois le temps de Prague était déterminé — autrement dit, le méridien qui passait par Prague.

Méridien de Prague

Cette même place est entourée de beaux immeubles ; certains sont d’anciens palais. Tantôt on peut lire des inscriptions en latin. Par exemple, sur les fenêtres du toit de cette maison sont écrits les noms Diligentia et Prudentia, et au-dessus des grandes fenêtres la phrase : Dignitatis memores ad optima intenti — dont je n’ai pas la traduction officielle.

Mon interprétation est la suivante (si je ne me trompe pas). L’ensemble exprime deux qualités engendrant deux attitudes : zèle ou conscience (diligentia) et prudence ou compétence (prudentia) font des hommes soucieux de leur honorabilité (dignitatis memores) et tournés (intenti) vers l’accomplissement de très grandes choses (ad optima). Cela pourrait être la “devise” d’un homme politique …

Sur une autre maison on peut lire : Lex civium dux, littéralement “La loi est le chef des citoyens” — en d’autres mots, “C’est la loi qui dirige les citoyens”, ou bien “Seule la loi commande aux citoyens”. Les deux personnages du blason situé au-dessus de l’inscription représentent peut-être l’hommage médiéval d’un vassal à un suzerain (?)

Tantôt on discerne des personnages de la mythologie gréco-romaine. Par exemple, sur le toit du splendide palais Kinsky on reconnaît (personnage du milieu) le dieu Mercure/Hermès à son caducée.

Et sur les frontons triangulaires sont représentées deux scènes fameuses de la mythologie grecque : le rapt de Déjanire par un centaure et l’enlèvement d’Europe par un taureau.

Déjanire fut la seconde femme d’Héraclès. Un jour Déjanire et Héraclès arrivèrent au fleuve Evenos, qui était en crue. Un centaure, Nessus, fit traverser Déjanire et essaya de la violer, sur quoi Héraclès le perça d’une flèche empoisonnée. Alors qu’il agonisait, le centaure conseilla à Déjanire, apparemment avec une intention amicale, de conserver un peu de son sang qui, étalé sur un vêtement, lui ramènerait l’amour d’Héraclès si jamais il lui était infidèle ; c’est ce que fit Déjanire (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 485).

Plus tard, Héraclès s’éprit de la jeune Iole. Pour le faire revenir à elle, Déjanire lui envoya la “tunique de Nessus” qui se colla à la chair d’Héraclès et lui causa d’atroces souffrances, auxquelles il voulut échapper en se plaçant sur un bûcher funéraire. In extremis, il fut sauvé par la déesse Héra/Junon, qui l’avait harcelé depuis son enfance, et il fut transporté sur l’Olympe avec les dieux ! 

Quant à Europe, c’était la fille du roi de Tyr, en Phénicie. Zeus/Jupiter en tomba amoureux et la séduisit sous la forme d’un taureau, ou envoya un splendide taureau au bord de la mer où elle jouait ; il lui parut si doux qu’elle monta sur son dos. Sur ce, il partit à la nage avec elle jusqu’en Crète, où elle eut trois fils. Le taureau devint la constellation du Taureau (Antiquité, p. 400).

Ce n’est pas la mythologie grecque, mais l’architecture grecque qui a inspiré le style d’autres grands édifices de Prague. 

Par exemple, l’Opéra d’État, inauguré en 1888, a l’aspect d’un temple grec. Mais sur sa façade, trois bustes d’Allemands célèbres “modernisent” le bâtiment : ceux de Schiller (à gauche), Goethe (milieu) et Mozart (à droite). En effet, Mozart séjourna à Prague où il composa son opéra Don Giovanni (Don Juan) en 1787.

Le style architectural du Grand Théâtre emprunte également à l’Antiquité. Voici l’arrière du bâtiment, avec ses colonnes aux chapiteaux corinthiens et sa frise,

ainsi que les masques symbolisant la Comédie et la Tragédie :

Sur le côté on peut lire une inscription en latin (le reste est impossible à lire) : Delegati inclyti regni bohemiæ … les délégués de l’illustre royaume de Bohème …

Et, sur la façade avant, les colonnes sont encore “corinthiennes”, mais la devise/dédicace est en latin : Patriæ et musis, À la patrie et aux muses.

Mentionnons aussi les établissements d’enseignement, qui font de Prague une ville universitaire avec beaucoup d’étudiants. L’université Charles (Universitas Carolina, en latin), fondée en 1348 par Charles IV, roi de Bohème, est la plus ancienne université d’Europe centrale. D’autre part, divers collèges ont été créés par des institutions religieuses — et ce, jusqu’à l’époque moderne. 

Tout cela est impressionnant et paraît bien sérieux. Heureusement, les Praguois ont aussi pris des libertés avec les Belles Lettres et ont accommodé le latin à une sauce moderne !

Il y a des colonnes avec des personnages en toge sur un des ponts qui enjambe la rivière Vltava (plus connue sous le nom allemand de “Moldau”),

des statuettes de héros et dieux grecs et romains dans les boutiques de souvenirs (comme à Athènes),

des bijoutiers-joailliers vantant leur aurum et argentum, or et argent,

un fleuriste et son botanicus hortus, jardin botanique,

un marchand de cristaux de Bohème qui s’est placé sous le haut patronage de Jules César (pourquoi ? mystère !)

et la tête du dieu Mercure, dieu des commerçants (et des voleurs) qui surveille le tout.

Une Prague insolite, qui valait le voyage !

 

 

 

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