Pour ne pas perdre la main — en l’occurrence l’écriture régulière d’articles de blog — ni ne savoir que faire de mes dix doigts — en dehors du jardinage — à une époque où je ne voyage toujours pas, j’ai consacré quelques recherches à un sujet apparemment familier : les doigts de la main !
Mais leur symbolisme individuel et leur usage linguistique sont peut-être moins familiers qu’il n’y paraît.
Selon le système des correspondances planétaires du microcosme, l’astrologie traditionnelle fait du pouce le doigt de Vénus, de l’index celui de Jupiter, du médius celui de Saturne, de l’annulaire le doigt solaire et de l’auriculaire le doigt de Mercure, indique le Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 363).
Placé sous le signe de la deuxième planète du système solaire, Vénus — nommée d’après la déesse romaine de l’Amour — le pouce (du latin pollex, pollicis) est un symbole phallique. Il signifie la force créatrice : c’est lui qui confère aux autres doigts de la main, et à la main tout entière, leur puissance de prise (Symboles, p. 784).
C’est aussi le doigt du pouvoir. L’empereur romain, en retournant son pouce vers le sol condamnait à mort un gladiateur ou lui épargnait la vie en le dirigeant vers le haut. Cet usage, qui remonte aux Étrusques, 500 ans avant notre ère, a été expliqué de la manière suivante par des historiens romains : “À la naissance, les bébés tenaient généralement la main fermée avec le pouce replié à l’intérieur. Au fur et à mesure qu’ils grandissaient …, ils ouvraient progressivement la main, libérant ainsi le pouce. Et … la main se referme souvent au moment de la mort, enfermant à nouveau le pouce. C’est pourquoi, pour les Romains, le pouce devint synonyme de vie lorsqu’on le dressait vers le haut et signal de mort quand on le dirigeait vers le bas” (Le Livre des Superstitions, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 608).
“Pollice verso” (le pouce renversé), célèbre toile de Jean-Léon Gérôme (1872) recrée l’atmosphère violente de la dégradation des Jeux du Cirque (selon le témoignage du philosophe stoïcien Sénèque) tandis qu’une mosaïque (IVè siècle) indique par la lettre grecque Θ (théta), mise pour Θανατος (Thanatos, divinité de la Mort) le sort funeste du gladiateur Cupido (au nom pourtant charmant !).
Plus de 2500 ans après cette coutume étrusque, reprise par les Romains, les symboles du pouce en l’air ou du pouce renversé, utilisés notamment dans les réseaux sociaux pour manifester l’approbation ou le dégoût, sont populaires dans le monde entier !
Le pouce est aussi une mesure de longueur (2,54 cm), que, malgré l’adoption du système métrique, le Canada utilise encore couramment pour indiquer une taille (surtout celle d’un bébé juste né). C’est d’ailleurs en raison de la petitesse de sa taille que le héros du conte de Charles Perrault a été surnommé le “Petit Poucet“. L’expression, apparemment redondante, souligne le caractère exceptionnel du jeune héros, particulièrement astucieux et courageux, réduction du héros solaire (Symboles, p. 784), qui triomphe de l’ogre aux bottes de sept lieues et sauve ses six frères (et finalement ses parents) d’une vie misérable.
Les expressions françaises mentionnant le nom du “pouce” en montrent le caractère familier : “donner un coup de pouce” c’est “favoriser la réussite” ; “manger sur le pouce”, c’est le faire “hâtivement” ; “mettre les pouces, renoncer” ; “se tourner les pouces, ne rien faire”. “Et le pouce” termine une énumération pour dire “Et quelque chose de plus“, tandis que “Pouce !” signale qu’on veut “arrêter un jeu (d’enfant)” et non pas “sucer son pouce” (Dictionnaire du Français argotique et populaire) !
Après le pouce, plutôt sympathique, l’index, lui, a une réputation ambivalente. Le linguiste Jacques Cellard écrit à son sujet : Repris directement au latin : in/dex (pour in/decs) “ce qui indique”. A) doigt qui “montre” quelque chose. B) Répertoire qui indique des références. C) Signe ou signet que l’on déplace pour noter des variations ; d’où in/dexer, in/dexation (Les 500 racines latines et grecques, éd. Duculot). Ce doigt est un “indicateur” — dont le sens peut avoir une connotation péjorative. Et si un index n’est d’ordinaire qu’une simple table alphabétique (d’auteurs, de citations etc.), “être mis à l’Index” (ensemble d’ouvrages dont le Vatican a interdit la lecture pour des raisons souvent morales), c’est être signalé comme nocif !
Des superstitions le déclarent venimeux, “doigt du poison”, “doigt du mauvais oeil” car on s’en sert pour montrer quelque chose ou quelqu’un (geste qui porte malheur) ou encore pour faire les cornes (avec l’auriculaire), ce qui équivaut à jeter un sort (Superstitions, p. 608).
Cependant, comme il est consacré à la cinquième planète, Jupiter, dont le nom est celui du dieu des dieux olympiens, ce doigt revêt aussi une signification positive. La plupart des statues représentant l’empereur Auguste — hormis celle ci-dessus qui est un “montage” pour lui donner un caractère jeune et moderne — et plusieurs de ses successeurs ont l’index levé en l’air : signe de ralliement à la volonté divine ? ou de commandement ? en tout cas, signe de pouvoir.
Le troisième doigt, le médius, est littéralement “le doigt du milieu” (digitus medius, en latin). D’ailleurs, dans plusieurs langues même non romanes (“nakayubi”, en japonais, “Mittelfinger”, en allemand) son nom signifie simplement “doigt du milieu”.
Dédié à Saturne, planète et surtout dieu, particulièrement maléfique, passe pour le “doigt du péché” ; on le surnomme digitus infamis, impudicus (doigt infâme, impudique) … et il est considéré comme un substitut du phallus (Superstitions, ibid.). Cette analogie phallique prévaut dans le geste utilisant le médius levé, considéré comme obscène.
Dans la langue courante, on l’appelle plus souvent le majeur car il est aussi le plus long des doigts de la main : “majeur” vient du latin major, qui est le comparatif de l’adjectif magnus, grand.
L’annulaire (du latin digitus annularis, doigt propre à l’anneau), qui appartient au Soleil (Hélios, en Grèce), est le plus chanceux de tous les doigts de la main. C’est à ce doigt (de la main gauche) qu’on glisse une bague de fiançailles ou une alliance. Pour les médecins grecs du IIIè siècle avant J.C., une certaine veine, surnommée la “veine de l’amour”, reliait directement le doigt au cœur. En dépit de la réputation néfaste du côté gauche, ce préjugé, repris par les Romains, a franchi les siècles, certains attribuant la “vertu cordiale” de l’annulaire à un vaisseau, à un nerf ou à une artère.
L’annulaire a également un pouvoir de guérison, d’où son surnom de “médecin” ou de digitus medicus : les médecins romains s’en servaient pour mélanger leurs potions, dans la croyance que si elles présentaient une éventuelle toxicité, ils en ressentiraient l’effet dans leur cœur (grâce à la fameuse veine) — selon Le Livre des Superstitions (ibid.).
Coïncidence amusante, le nom japonais de l’annulaire est “kusuriyubi”, qui signifie “le doigt des médicaments”. En effet, au Japon on utilise ce doigt pour attraper un peu d’un onguent ou d’une pommade, et même un comprimé !
Dernier des doigts de la main, l’auriculaire tire son nom du latin auricularius, de auricula, l’oreille, car ce “petit doigt” (appelé “pinky” par les Anglophones) peut s’introduire dans l’oreille. Il est consacré à la planète Mercure. Le dieu romain Mercure, éponyme de la planète, est associé à la divination, d’où peut-être le fameux “c’est mon petit doigt qui me l’a dit” (Superstitions, ibid.).
Pour les trois derniers doigts de la main que j’ai cités (médius, annulaire et auriculaire), il existe fort peu d’expressions françaises les mentionnant — à la différence de l’index et surtout du pouce. Cependant ils peuvent être utilisés dans des gestes — forme symbolique que je n’ai pas beaucoup étudiée dans cet article.
Il me resterait aussi à parler de la “main”, riche en symboles et en expressions linguistiques. Mais ce ne sera pas pour demain …