L’Allégorie de l’Amérique — tableau que j’ai vu lors des “Journées du Patrimoine”, au mois de septembre dernier, en France — m’a semblé réunir de manière intéressante (et inattendue) l’Antiquité et l’actualité moderne.
En effet, novembre était, à Rome, le mois consacré à la déesse Diane, et aujourd’hui, 6 novembre, ont lieu les élections de mi-mandat aux États-Unis — pays qu’on appelait “l’Amérique” au XIXè siècle, quand ce tableau a été peint. Or sur cette toile l’Amérique est représentée comme une Diane antique ! Jugez-en plutôt !
L’œuvre, intitulée Allégorie de l’Amérique, a été réalisée au milieu du XIXè siècle par l’École Française. C’est une grande huile sur toile qui est exposée au Musée du Nouveau Monde, à La Rochelle (France). La notice du musée (à côté du tableau) ne fournit pas d’autres explications.
C’est une “allégorie”, c’est-à-dire une forme picturale où le personnage peint représente une entité abstraite ou une idée générale (L’Allégorie du printemps de Botticelli), comme l’explique L’Histoire de la peinture pour les Nuls (éd. First, p. 474).
J’ai déjà eu l’occasion de présenter deux “allégories de l’Amérique” : l’une est une sculpture sur un édifice de la Grand’Place de Bruxelles (Belgique) et l’autre une mosaïque au sommet d’un immeuble de la banque BNP à Paris. Dans les deux cas, l’Amérique est une figure féminine.
C’est également le cas sur la peinture qui nous intéresse ici, à ceci près qu’il s’agit d’une déesse connue : Diane.
Qui donc était Diane (alias Artémis, pour les Grecs), et quelle vision de “l’Amérique” son parrainage donne-t-il ?
Très ancienne divinité, elle est ainsi décrite par Homère : Artémis la Bruyante, sagittaire à l’arc d’or, la sœur de l’Archer (Iliade, XX). L’Archer, c’est le dieu Apollon, son frère jumeau. Le Dictionnaire culturel de la mythologie gréco-romaine (éd. Nathan, p. 46 et 84) précise que son arc et ses flèches sont un cadeau de Zeus (Jupiter), son père, tandis que sa meute de chiens féroces lui a été donnée par Pan. Belle et agile, la “Dame des fauves” aime parcourir bois et forêts d’Arcadie à la poursuite du gibier qu’elle perce de ses flèches … Son domaine est la nature vierge et sauvage … Elle est également déesse de la chasteté et de la lumière lunaire, que symbolise le croissant qui orne sa chevelure … Symbole aussi de la Fécondité (ce qui n’est pas contradictoire avec sa chasteté, car elle présidait aux accouchements).
Déesse de la Chasse, elle est représentée avec son arc, son carquois, ses flèches et une biche. Elle porte une tunique courte (tenue rarissime pour une figure féminine, à l’exception des femmes spartiates, dans l’Antiquité gréco-romaine), pour faciliter sa course. Ou bien elle est nue, pour signifier sa pureté.
L’Allégorie de l’Amérique est indubitablement une créature grecque. Elle en possède certains critères picturaux : le nez et le profil droits, la tunique collante (effet de “drapé mouillé”), la taille du deuxième orteil (qui dépasse le pouce) de chaque pied.
En outre, sa peau est claire, comme celle des antiques Athéniennes, confinées dans leur gynécée (appartement des femmes) — critère aristocratique par excellence ! On est bien loin de l’expression méprisante de “Peaux-Rouges” attribuée naguère aux Amérindiens.
Ce qui l’apparente à la déesse Diane, ce sont ses armes (arc et flèches) et son tableau de chasse (gibier mort, derrière elle).
De plus, ses cheveux sont bouclés, clairs, et sa coiffure soignée — les premiers symbolisant sa divinité (les dieux olympiens étaient blonds), la seconde symbolisant sa chasteté (des cheveux librement dénoués sont signe de sensualité).
Enfin, sa pose légèrement déhanchée et détendue rappelle celle de certaines statues grecques, notamment d’Apollon, et enlève tout caractère belliqueux ou impulsif à cette “Diane” non grecque.
Mais ce qui en fait une “Américaine” ou Amérindienne, ce qui donne un cachet exotique au personnage, ce sont les plumes qui ornent sa tête (comme une tiare, symbole de royauté), sa tunique et ses chevilles. Ces accessoires sont rouges, couleur qui est devenue l’emblème du pouvoir, comme l’indique le Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins, p. 832).
Par ailleurs ses pendants d’oreilles (des perles) confirment sa noblesse car les perles ornent la couronne des rois. On retrouve des traces de ce même caractère dans les parures de perles, spécialement les boucles d’oreilles, ornées de perles rares et précieuses : quelque chose de cette noblesse sacrée rejaillit sur qui les porte (Symboles, p. 744).
Il ressort de cette toile que les peintres de l’École Française du milieu du XIXè siècle semblent s’être fait une image noble, presque idéale, de l’Amérique, ou, du moins, avoir voulu en donner une image noble.
La littérature n’est pas en reste, puisque Chateaubriand, dans des œuvres comme Atala ou les Mémoires d’Outre-Tombe a fait des portraits souvent empreints de respect, voire de sympathie, de l’Amérique (États-Unis et Canada) et de ses habitants.
La belle Diane, quant à elle, est toujours présente aux États-Unis, de nos jours ; je l’ai rencontrée dans des musées de New York et de San Francisco :
et elle se trouve sans doute encore ailleurs dans la vaste “Amérique” !