Le Bois sacré cher aux Arts et aux Muses est un tableau de Pierre Puvis de Chavannes que j’ai vu au Art Institute Museum de Chicago. J’en propose une interprétation personnelle.
1. Le peintre : Peintre et dessinateur français, Pierre Cécil Puvis de Chavannes est né à Lyon en 1824 et mort à Paris en 1898. Deux voyages en Italie (1847 et 1848) lui font découvrir les peintres de la Renaissance (Le Titien, Le Tintoret, Véronèse) qu’il admire profondément. Il entre ensuite à Paris dans l’atelier de Thomas Couture, puis dans celui de Delacroix. Il s’installe dans son propre atelier, place Pigalle, en 1852. Il se lie d’amitié avec Théodore Chassériau, qui l’influence beaucoup et lui ouvre la voie de la décoration murale. Tout au long de sa vie Pierre Puvis de Chavannes réalisera de grandes compositions murales à sujets allégoriques. La toile Le Bois sacré cher aux Arts et aux Muses (créée entre 1884 et 1889) a été peinte pour décorer la Sorbonne. L’ensemble de son œuvre, souvent critiquée pour son “académisme” (car l’allégorie est considérée comme désuète), eut pourtant une grande importance pour des artistes comme le peintre Gauguin ou le sculpteur Rodin.
2. L’œuvre : Le Bois sacré cher aux Arts et aux Muses, huile sur toile (1884-89), 93 cm x 231 cm, Art Institute Museum, Chicago, USA.
3. Le Mouvement : Symbolisme.
Selon L’Histoire de la peinture pour les Nuls (p. 290), Ce mouvement veut mettre en avant le symbole qui se fonde sur une correspondance entre deux objets dont l’un généralement appartient au monde physique et l’autre au monde moral. Le maître des symbolistes français est incontestablement Gustave Moreau, avec deux autres figures prédominantes, Puvis de Chavannes et Odilon Redon.
4. Genre ou catégorie : Paysage allégorique.
5. Bibliographie : Le Dictionnaire Robert des Noms Propres et L’Histoire de la peinture pour les Nuls, éd. First, Paris (2009) pour la biographie (et les citations en italiques) ; Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins ; Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins.
6. Le thème : Mythologique et artistique.
On sait par les découvertes faites à Pompéi que dans l’Italie antique (depuis le Ier siècle avant notre ère) les murs des maisons étaient décorés de fresques dont les sujets étaient principalement empruntés à la mythologie grecque.
De même, conçu pour décorer les murs de la Sorbonne à la façon d’une fresque, le tableau de Puvis de Chavannes est une représentation imaginaire du Parnasse, montagne de Grèce située au nord de Delphes. Cette montagne, ainsi que les sources et les forêts qu’on y trouvait, était sacrée et associée au culte du dieu Apollon et des Muses (Antiquité, p. 723).
Symboliquement, le peintre rend hommage aux différents arts, à leurs sources d’inspiration, à la culture.
7. Analyse iconographique :
Du fait de sa longueur (231 cm), la toile présente un vaste panorama.
Dans une clairière au milieu d’un bois, près d’une étendue d’eau bordée de rochers, devant un petit édifice à colonnes ioniques, sont rassemblés quinze personnages. Cinq d’entre eux sont habillés de longues tuniques avec des étoles ou des toges ; sept femmes sont à moitié dénudées et trois enfants, entièrement nus. La scène se situe dans l’Antiquité grecque, comme en témoignent les vêtements, les cheveux clairs et les couronnes de laurier des personnages, l’architecture de l’édifice (un temple ?) ainsi que la lyre (ou cithare) dont joue un des personnages célestes.
Certains personnages sont en contemplation, d’autres tiennent une conversation,
Deux personnages volent dans le ciel, les enfants fabriquent (et offrent) des couronnes de feuillage.
Mais tous leurs mouvements semblent paisibles et mesurés.
De plus, hormis le reflet des rochers dans l’eau, il n’y a pas d’ombre : le temps semble suspendu dans la clarté.
8. Analyse symbolique :
Le titre de l’œuvre (Le Bois sacré cher aux Arts et aux Muses) en favorise la compréhension.
Le bois sacré, les arbres : Chez les Anciens, Grecs et Latins, comme chez d’autres peuples, des bois étaient consacrés à des divinités : ils symbolisaient la demeure mystérieuse du Dieu… Chaque dieu a son bois sacré : s’il y inspire une crainte référentielle, il y reçoit aussi les hommages et les prières… (Le bois sacré) symbolise un immense et inépuisable réservoir de vie et de connaissance mystérieuse (Symboles, p. 135).
Le bois sacré est ici celui du dieu Apollon aux multiples connaissances (médecine, divination, musique) —Apollon symbolisé par les couronnes de laurier et la lyre.
D’autre part, l’arbre dont les racines plongent dans le sol et dont la cime touche au ciel est l’intermédiaire obligatoire entre l’homme et la divinité (id., p. 843).
Le lac : (Les lacs) symbolisaient les forces permanentes de la création (id., p. 556). Quant à l’eau, elle est aussi et surtout, par sa valeur lustrale, un symbole de pureté passive. Elle est un moyen et un lieu de révélation pour les poètes qui l’incantent pour en obtenir des prophéties (id., p. 380).
De ce fait, l’étendue d’eau connote les arts et la divination, donc le dieu Apollon.
L’édifice (temple ou sanctuaire) : Le temple est un reflet du monde divin. Son architecture est à l’image de la représentation que les hommes se font du divin. En Grèce, étymologiquement, le temple signifiait l’endroit réservé aux dieux, l’enceinte sacrée entourant un sanctuaire et qui est un lieu intouchable (id. p. 936).
Les Arts : Comme l’indique la majuscule, ce sont des allégories. Dans l’Antiquité, on dénombrait 7 disciplines sous le nom d’arts : 4 reposaient sur les mathématiques (l’arithmétique, la géométrie, la musique, l’astronomie) et 3 sur la parole (la grammaire, la rhétorique, la dialectique).
À l’époque moderne, ce qu’on appelle “art” correspond plutôt aux activités patronnées autrefois par les Muses. De plus, comme Puvis de Chavannes n’a pas peint beaucoup d’attributs ou d’accessoires (on distingue seulement un rouleau de parchemin, une tablette, une palette de peintre et une lyre), on ne peut pas distinguer quel personnage (Art ou Muse) est représenté. Ils n’y figurent d’ailleurs pas tous (7 Arts + 9 Muses + Apollon ? = 17), car, si on omet de compter les enfants, il n’y a que 12 personnages “adultes” !
Les Muses : Dans la mythologie grecque, filles de Zeus et de Mnémosyne (Mémoire), déesses de la Littérature, de la Musique (ou art des muses) et de la Danse, puis plus tard de toutes les activités intellectuelles… À l’époque romaine, chaque Muse représentait un art particulier : Calliope, la poésie épique ; Clio, l’Histoire ; Euterpe, le jeu de la flûte (et la poésie lyrique qu’elle accompagne) ; Melpomène, la tragédie ; Therpsichore, la danse chorale et le chant qui l’accompagne ; Érato, la lyre (et la poésie lyrique, souvent érotique, qu’elle accompagne) ; Polymnie, les hymnes aux dieux et, plus tard, la pantomime ; Uranie, l’astronomie ; Thalie, la comédie et la poésie bucolique (Antiquité, p. 654).
Elles incarnent le talent des artistes.
Les enfants sont symbole d’innocence, de simplicité naturelle (id. p. 404) et leur nudité symbolise ici la pureté physique, morale, intellectuelle, spirituelle … ainsi que l’hellénisme, dont l’idéal sportif et artistique implique le dévoilement du corps (Symboles, p. 680-681) — ce qui concerne les hommes seulement.
9. Analyse chromatique :
La couleur rose (chairs et draperies) : symbole de régénération (id., p. 823).
Le bleu et le vert : Selon Kandinsky, la profondeur du vert donne une impression de repos terrestre … tandis que la profondeur du bleu a une gravité solennelle, supra-terrestre.
Comme la scène se situe dans la nature, la toile montre un camaïeu de vert, couleur rassurante, rafraîchissante … Vert est la couleur du règne végétal se réaffirmant … vert est l’éveil de la vie … couleur d’immortalité (id., p. 1002).
10. Composition, style et synthèse :
Avant de peindre Le Bois sacré cher aux Arts et aux Muses, l’artiste a dessiné une étude préparatoire (qui permet de juger de ses choix définitifs).
La toile elle-même est peinte de couleurs pâles, étalées par aplats (l’herbe, l’eau etc.). La végétation est rendue avec des détails soignés (feuilles, buissons etc.).
Les attitudes des personnages sont empreintes de noblesse, et même d’une certaine austérité académique. Il y a, cependant, un peu de maniérisme (membres allongés, silhouettes minces, pose décentrée d’un personnage habillé en blanc).
C’est une œuvre qui illustre bien le Symbolisme (et qui plaît aux visiteurs du musée de Chicago, où elle est mise en valeur !)