L’exposition, présentée au Musée Canadien de l’Histoire (Gatineau/Ottawa, 16 juin 2016 – 8 janvier 2017), s’intitule “Napoléon & Paris”.
Pour cet article, je me permets d’ajouter à cet intitulé “… et l’Empire romain”. Car, avec les liens étroits entre Napoléon Ier et la capitale française, j’ai découvert de nombreuses références à l’Antiquité gréco-romaine — références qui s’y trouvent de manière tout à fait intentionnelle.
La prédilection des artistes pour l’Antiquité n’est pas nouvelle quand Napoléon Bonaparte arrive au pouvoir. À la Renaissance (néoplatonisme), au XVIIè siècle (classicisme) et sous la Révolution même (néoclassicisme), les Mouvements littéraires et culturels s’en inspirent. Mais cette mode va s’accentuer sous le Premier Empire, car la Rome antique, notamment, devient un modèle de puissance politico-militaire et de permanence culturelle.
D’abord, l’Antiquité se retrouve dans les titres que Napoléon Bonaparte portera successivement : consul, puis empereur.
En effet, après le coup d’État dit “du 18 brumaire”, commence le régime du Consulat, qui durera de 1799 à 1804, avec trois consuls (un “triumvirat” comme à Rome) : Bonaparte (alors Général), Cambacérès et Lebrun. Peu à peu Bonaparte acquiert plus de pouvoirs : en 1800, il est nommé Premier Consul ; en 1802, Consul à vie.
La fonction de consul était, sous la République romaine (de 509 à 30 avant notre ère), une magistrature suprême — la dernière du Cursus Honorum (Carrière des Honneurs). Il n’y avait que deux consuls, élus chaque année parmi les sénateurs, et dont les pouvoirs étaient civils et militaires.
Le plus célèbre consul de l’Histoire romaine est, sans aucun doute, Cicéron, qui devint Consul suo anno (c’est-à-dire l’année où il pouvait commencer à être éligible pour la fonction, à 43 ans) en 63 avant notre ère. Sa magistrature fut marquée par la fameuse “Conjuration de Catilina”, qui mit en péril la République, mais que Cicéron dénonça et neutralisa, notamment grâce aux discours (Les Catilinaires) qu’il prononça.
Pour en revenir à Bonaparte, c’est en tant que Premier Consul (à la tête du pouvoir exécutif) qu’il mit en œuvre ses plus grandes réformes de l’État.
Parmi ses réalisations, certaines portent des noms empruntés à l’Antiquité, comme la fonction de préfet (praefectus) — à Rome, officier chargé d’une branche de l’administration, et en particulier de l’administration de la justice dans les villes des provinces ; il était nommé par une autorité supérieure (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 813). Également créés sous le Consulat, les lycées (Λυκειον, Lyceum) — Bosquet et gymnase près d’Athènes, consacrés à Apollon Lycios et où Aristote enseignait. Le nom est parfois employé pour désigner l’école philosophique d’Aristote (Antiquité, p. 588), pour former la jeunesse. Et, pour récompenser ceux qui se sont montrés méritants, l’ordre de La Légion d’Honneur (legio — la légion, les légionnaires ayant fait la force de la Rome antique).
En 1804, le consul Bonaparte est proclamé (le 18 juin) et sacré (le 2 décembre) “Empereur des Français”, par le Sénat (qui craint un retour des royalistes) et par le peuple. Le terme, choisi à dessein pour éviter celui de “roi”, rappelle à la fois le premier empereur romain, Auguste, et le premier empereur français, Charlemagne.
Bonaparte devient Napoléon Ier et, pour son portrait officiel, emprunte des symboles à ces deux empereurs : la couronne de lauriers et les aigles au premier, le sceptre et le manteau d’hermine au second.
Et — chose qu’il n’avait pas prévue, mais qui le relie encore à l’empereur Auguste (objet d’une apothéose ou déification après sa mort) — Napoléon Ier fut représenté en apothéose à l’antique sur le plafond de l’Hôtel de Ville de Paris à la fin du Second Empire. Cette œuvre a été détruite pendant la Commune en 1871.
La peinture sur porcelaine ci-dessous est une copie de l’esquisse présentée par le peintre Ingres à Napoléon III. Elle montre Napoléon en général romain (imperator), conduisant le char du triomphe. Héros jeune et beau, couronné de lauriers par la Victoire ailée et recevant la palme du vainqueur, une lance (symbole de sagesse) dans la main, il s’envole dans les airs, précédé par un aigle (oiseau de Jupiter et symbole de l’armée romaine).
Vision idéalisée, qui devait servir de propagande au régime déclinant de Napoléon III — son lointain héritier !
Quant à l’héritier direct de Napoléon Ier (son fils, Napoléon François, né le 20 mars 1811), il reçoit à sa naissance le titre de “Roi de Rome” — Rome (moderne) ayant été réunie à l’empire français depuis peu, en 1809.
Afin de bien rappeler les origines mythiques de Rome, et donner une glorieuse destinée à l’enfant, son hochet fut gravé des figures légendaires de la Louve et des jumeaux (Romulus et Remus) ! C’était placer sous les meilleurs auspices ce Napoléon II … qui ne régna jamais.
Outre les titres et honneurs, l’Antiquité se retrouve ensuite dans divers symboles de l’Empire.
On a vu plus haut le Grand Collier de la Légion d’Honneur portant les motifs des aigles et des abeilles. L’aigle, symbole de la gloire militaire, et l’abeille, du travail acharné, étaient très présents dans la Rome antique — civilisation originellement fondée sur l’armée et les paysans. Le poète latin Virgile consacre le Livre IV des Géorgiques à l’apiculture et décrit avec admiration les tâches des abeilles. Quant aux aigles, ils (ou “elles” — car dans ce contexte on utilise plutôt le féminin : “aigles impériales”) figuraient en tête de la légion en marche portés par un aquilifer (littéralement, un porte-aigle).
Ce sont les vertus symboliques des aigles et abeilles que Napoléon Ier cherche à restaurer sous son règne. Mais outre l’aspect “pédagogique” de ces symboles, il y a le côté décoratif “à l’antique” qui est à la mode.
Ainsi en témoignent divers objets ayant appartenu à l’empereur, telle cette cuirasse d’apparat, inspirée par celle d’Auguste :
Ou cette tabatière en écaille incrustée de deux médailles en or représentant Alexandre le Grand et son père, Philippe II de Macédoine, conquérants célèbres de l’Antiquité grecque et modèles pour d’autres fameux conquérants :
Il me faudrait également parler du mobilier aux motifs inspirés de l’Antiquité (feuillages, vases à l’antique, cols de cygne, têtes de profil), des vêtements et de la mode féminine de style Empire, des enseignes et devantures de boutiques etc., mais la place me manque et je me “limite” !
Enfin, l’Antiquité, ce sont les monuments érigés sur l’ordre de Napoléon : arcs de triomphe, colonnes et temples se multiplient, commémorant la gloire des armées françaises.
Certains projets restèrent dans les cartons des architectes. Par exemple, ce projet de bains publics ou thermes ne fut pas réalisé :
et d’autres furent détournés du projet initial, faute d’avoir été entièrement construits pendant le Premier Empire. C’est le cas de ce qui est devenu l’église de la Madeleine : commencée en 1764, elle devait être transformée, selon la volonté de Napoléon, en un Temple de la Gloire des armées françaises. Mais le projet — une copie (?) des édifices gréco-romains — ne fut pas terminé sous son règne :
En revanche, d’autres monuments inspirés de ceux de Rome antique furent achevés. Tout le monde connaît les arcs de triomphe :
Et le monument le plus emblématique de la légende napoléonienne est certainement la colonne Vendôme, analogue à la colonne trajane du Forum Romanum :
Construite en souvenir de la victoire d’Austerlitz, la colonne Vendôme est consacrée à la Grande Armée et surmontée d’une statue de Napoléon en empereur romain — statue qui a connu des tribulations diverses :
D’autres constructions et monuments parisiens datent du Premier Empire. Il est difficile de les citer tous, et tous ne sont pas d’inspiration antique.
Quant aux Invalides, l’église et le musée sont pour toujours associés au souvenir de Napoléon vivant (il en avait fait le théâtre de plusieurs cérémonies à la gloire des soldats) et mort (ses cendres, rapatriées de Sainte-Hélène où il meurt en 1821, y seront placées en 1840).