Les élections présidentielles de novembre 2016 passionnent actuellement les États-Unis. C’est pourquoi, il m’a paru intéressant de rechercher les caractéristiques des institutions politiques romaines de l’Antiquité, ainsi que la façon d’accéder au pouvoir, afin d’établir des comparaisons.
Comme ce sujet est vaste, je m’en tiendrai à quelques notions (regroupées en un abécédaire) qui s’appliquent à la fin de la République romaine, au 1er siècle avant notre ère — une “République” sans président ni ministres, mais avec de nombreux magistrats.
A comme Argent :
Fait révélateur, c’est le même mot (munus) qui, en latin, signifie la charge (fonction, poste) et le cadeau en argent (“rémunération” vient de là) !
En effet, les riches Romains n’hésitaient pas à distribuer de l’argent pour acquérir de la popularité, voire pour acheter les votes de leurs concitoyens et gagner ainsi des élections. On appelait liberalis (“libéral”) le généreux donateur et largitio, ses “largesses”, ses “libéralités”.
Lors d’un procès où il est l’avocat de la défense, Cicéron évoque les manières plus ou moins licites de briguer une ou des élections : Un sénatus-consulte a déclaré, sur mon rapport, que les candidats qui donneraient de l’argent pour qu’on vînt à leur rencontre, qui se feraient suivre d’un cortège de gens soudoyés, qui distribueraient à des tribus entières des places aux combats de gladiateurs ou donneraient des repas au peuple, auraient violé la loi Calpurnia (Pro Murena, XXXII, traduction de M. Nisard, 1869).
Était-ce de la corruption ? Oui et non.
Non, culturellement parlant : les Romains rattachaient l’étymologie de “riche” (dives) à celle de “dieu” (divus). L’argent était sacré car on croyait que les dieux étaient pourvoyeurs de richesses.
Oui, moralement parlant : plusieurs lois (lex Licinia en 55 avant notre ère, lex Calpurnia etc.) essayèrent d’interdire d’acheter les suffrages des électeurs. En vain.
L’argent était donc un critère d’éligibilité, et seuls les riches, qui étaient, de surcroît, instruits et cultivés, pouvaient gouverner. Mais après avoir accompli une magistrature, notamment dans une province, même les élus honnêtes avaient récupéré leur mise de fonds pour leur campagne électorale, grâce à leurs indemnités et aux cadeaux de leurs administrés. Quant aux malhonnêtes, ils se servaient eux-mêmes.
C comme Candidat :
Le nom “candidat” dérive du verbe poétique candere, “être enflammé”, “être chauffé à blanc”, “être incandescent”.
S’y rattachent, en latin, le nom candor (qui signifie “blancheur éclatante”) et l’adjectif candidus (“blanc”, “joyeux”), et en français, “candeur”, “candide”. De plus, outre la pureté et l’innocence, le blanc possède une connotation de gaieté… Le blanc était une couleur de fête dont se paraient les Romains qui indiquaient les jours fastes avec de la craie (Le Livre des Superstitions, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 232).
En effet, avant de pouvoir porter la toge prétexte, réservée notamment aux magistrats et aux sénateurs (blanche bordée d’une bande pourpre appelée “laticlave”), celui qui voulait exercer une fonction publique arborait une toge blanche, symbole de sa “pureté” et du changement de sa condition. Il était donc littéralement candidatus, “candidat” (“blanc” ou “blanchi”) — mot employé uniquement au masculin, par absence de possibilité de “candidatures” féminines aux élections de cette époque !
E comme Élections :
Le mot “élections”, comme d’autres de la même famille (“électeur, élire, électorat” etc.) appartient originellement au lexique de l’agriculture. Il provient du verbe eligere, qui veut dire d’abord “arracher en cueillant”, puis “trier sur le volet”.
À Rome, on utilisait plutôt suffragium pour désigner “le vote”, petitio (littéralement “demande, requête”) pour exprimer “la candidature”, et ambitus, “la brigue électorale”. Les termes qui en sont dérivés (“suffrage”, “pétition”, “ambition”) sont d’ailleurs passés dans le vocabulaire politique moderne.
Seuls les “citoyens romains” (Romani cives) avaient le droit de vote, c’est-à-dire les hommes romains libres et certains étrangers (Italiens, Espagnols, Gaulois) possédant le “droit de cité” (civitas cum suffragio). Mais, en pratique, l’éloignement ou les occupations en empêchaient beaucoup d’assister aux assemblées et rendaient ainsi illusoire ce droit de vote.
Cependant, les aspirants au pouvoir multipliaient les déplacements et les meetings de propagande (contiones), se dépensant sans compter. En témoignent ces propos de Cicéron, également homme politique, devenu plus philosophe à la fin de sa vie : D’une manière générale, toutes les peines auxquelles s’attachent la gloire et la célébrité deviennent par cela même supportables… Que dire de nos compétitions politiques et de la passion des honneurs ? Est-il brasier qui ait fait peur à nos ambitieux, au temps où l’on faisait campagne en quêtant les suffrages un à un ? (Tusculanes, II, 62, traduction de J. Humbert revue par C. Rambaux, 1998).
F comme Forum :
Lors des meetings (contiones) les assemblées du peuple se tenaient sur le Forum Romanum — forum, lieu de rencontres et de débats, passé tel quel en français et ayant donné “foire, forain, for intérieur”.
Pour les soldats en campagne militaire, il y avait des contiones dans les camps : ainsi Jules César réunissait-il les légionnaires pour leur parler et les haranguer. Le nom contio (singulier de contiones) désigne à la fois “l’assemblée” et “le discours prononcé devant l’assemblée”. C’était une réunion d’information, sans vote ni pouvoir légal, mais qui mettait en valeur la parole de l’orateur.
La parole de l’orateur était presque sacrée — en tout cas de nature à engager son auteur, qui prenait les dieux à témoins de ce qu’il disait — si l’on en juge par l’étymologie du nom “orateur”. Orare, en effet, signifie à la fois “prier” et “parler” — d’où “oraison” et “oral”.
Le “geste auguste” de l’orateur a été stylisé par Picasso en 1933-1934 dans cette statue (plâtre, pierre et chevilles d’assemblage en métal, Musée de Young, San Francisco).
M comme Mandat :
“Mandat” vient du verbe mandare, qui signifie “charger d’une mission”, puis “confier”. Les “charges honorifiques” (mandata), les “honneurs” (honores), les “dignités” (dignitates) étaient pratiquement synonymes de “magistratures” (magistratus).
De là les titres de “Très Honorable” ou “Honorable” donnés, à l’époque moderne, au(x) Premier(s) Ministre(s) et aux membres du Parlement, notamment au Canada.
R comme République :
Res Publica est une expression polysémique, signifiant littéralement “la chose publique, l’affaire de tous”. D’où le sens de “la situation politique et/ou militaire”, “la vie politique”, “l’État”.
La “République” romaine (nom d’un régime qui dura environ cinq siècles après l’expulsion des rois, en 509 avant notre ère) n’était pas à proprement parler démocratique, mais avait réparti les pouvoirs pour éviter un pouvoir personnel.
Ainsi coexistaient des assemblées populaires, les comices, qui élisaient les magistrats et votaient les lois, et une assemblée patricienne (aristocratique), le sénat, administrant les grandes affaires de politique intérieure et extérieure.
Les sénateurs (patres conscripti ou “pères conscrits”) se réunissaient dans le Temple de Jupiter — ce qui plaçait leurs séances sous la protection divine — ou dans la Curie.
Le Cursus honorum, “carrière des honneurs”, était constitué de magistratures successives : Questeur, Édile, Préteur, Consul — qui s’occupaient respectivement des finances de l’État, des approvisionnements, bâtiments publics et voirie de Rome (comme nos “édiles” municipaux actuels), de la Justice, et, enfin, de la Sûreté de l’État.
L’âge minimum de l’éligibilité à la première charge (questure) était de 31 ans — ce qui impliquait que tout magistrat avait déjà une certaine expérience.
V comme Voter :
Ce verbe vient du nom votum, “vœu”, “promesse faite aux dieux”, “offrande”.
La connotation religieuse est manifeste en latin — comme elle se trouve encore dans le mot ex-voto, objet symbolique placé dans une église, en reconnaissance d’une faveur obtenue.
Toute ressemblance de certaines de ces pratiques avec celles des sociétés occidentales actuelles au moment des élections n’est sans doute pas une coïncidence.