Allégorie de la Grammaire

En ce mois de juin où beaucoup d’étudiants rédigent des copies d’examens, voici, avec une pensée pour eux, mon analyse du  tableau Allégorie de la Grammaire de Laurent de La Hyre — tableau que j’ai pu voir au Musée Walters de Baltimore.

1. Le peintre : Laurent de La Hyre, peintre et dessinateur français, né en 1606 à Paris, où il est mort en 1656. Formé par son père, également peintre, il subit l’influence de l’Italien Orazio Gentileschi, venu quelque temps à Paris, ainsi que de Nicolas Poussin. Mais, par esprit d’indépendance, il refusa de faire “le” voyage en Italie — comme le faisaient les artistes depuis la Renaissance, car Rome était alors la capitale européenne des arts. Membre fondateur de l’Académie royale de peinture et de sculpture (créée en 1648), il est un des représentants du courant de l’atticisme français du XVIIè siècle.

2. L’œuvre : Allégorie de la Grammaire, huile sur toile, 1650, Musée Walters, Baltimore (USA). Acquise par Henry Walters en 1902.

Allégorie de la Grammaire

3. Classification : Atticisme.

Au sens étymologique, l’atticisme signifie “imité des orateurs grecs”, quand les poètes grecs antiques souhaitaient revenir à l’expression plus simple de leurs anciens. Le mot désigne la qualité d’un style pur, mesuré, élégant et s’applique parfaitement à l’art parisien des années 1640-1650. Il se caractérise par une création rigoureuse, très intellectualisée, mêlant poésie et souci de la vérité archéologique, dans des coloris clairs.

Vers 1640, on parle d’École de Paris, autour de Philippe de Champaigne.

4. Genre ou catégorie : Allégorie.

5. Le Thème : Littéraire et philosophique.

Au XVIIè siècle, de nombreux textes font référence à des codes et des conventions accordant de l’importance à l’organisation des œuvres (par exemple, la “Règle des trois unités” ou les “Bienséances”, au théâtre) et à l’ordre (par exemple, le Discours de la Méthode de Descartes, 1637) . Cela reflète l’histoire politique des monarchies autoritaires de Louis XIII, de la régente Anne d’Autriche, et de Louis XIV.

6. Bibliographie : Dictionnaire Robert des Noms propres (pour quelques éléments de la biographie) ; L’Histoire de la peinture pour les Nuls (p. 158) et Chronologie de l’Histoire de la peinture, éditions Gisserot (p. 46-48, pour les citations dans la classification) ; le Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont (pour les citations dans les analyses symbolique et chromatique).

Allégorie grammaire-vue générale

7. Analyse iconographique :

Sur un fond de décor formé de deux colonnes cannelées dont on ne voit que la base et d’au moins deux arbres aux feuillages différents (un laurier ou un olivier et un chêne), devant un muret en pierre lisse délimitant une terrasse ou un balcon, se trouve une jeune femme, debout, attentive à ce qu’elle fait.

De sa main droite elle tient un pichet d’eau avec lequel elle arrose deux pots de fleurs, situés sur une table en pierre gravée de quelques entailles. Sur son bras gauche, elle porte un long ruban qui s’enroule et dont elle tient le bout dans sa main gauche. Une inscription en latin fait presque toute la longueur du rouleau. Cette inscription, Vox litterata et articulata debito modo pronunciata Une parole écrite et savante, énoncée de la façon requise, est une ancienne définition de la grammaire, qui faisait partie des arts libéraux (Artes Liberales), dans l’Antiquité.

La disposition de ses bras établit un équilibre, une équivalence entre l’arrosage des fleurs et la maxime latine.

Cette femme, vêtue d’une robe bleu-gris à manches, une sorte de cape (ou surcot) mauve-violet passée sur l’épaule droite, descendant jusqu’à la main droite et nouée à la taille avec une ceinture bleu très foncé ou noire, la tête recouverte d’un voile jaune clair, est montrée en “plan américain” ou “italien”, c’est-à-dire le corps coupé à mi-cuisses. C’est la personnification, ou allégorie, de la Grammaire.

8. Analyse symbolique :

La jeune femme est engagée dans une activité qui requiert tous ses soins : elle arrose des fleurs — ce qui, selon la conception du peintre, est une métaphore picturale pour représenter “l’éclosion” des idées. C’est, en effet, par le moyen de la grammaire que les mots de la pensée, quelque confus qu’ils soient, s’organisent avec clarté. Ce que Boileau énoncera quelque vingt ans plus tard dans son Art Poétique (1674) : Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement.

L’eau : tombant du pichet-arrosoir, elle symbolise la vie, la force vitale fécondante car elle est semence ouranienne, céleste (Symboles, p. 379).

Les fleurs : elles représentent un centre spirituel car les emplois allégoriques des fleurs sont infinis : elles sont parmi les attributs du printemps, de l’aurore, de la jeunesse, de la rhétorique, de la vertu etc. (ibid. p. 449).

Les feuilles : dans l’Antiquité gréco-romaine, chaque arbre était l’attribut d’une divinité. Ainsi les feuilles de chêne et d’olivier faisaient-elles référence à Zeus/Jupiter : des couronnes d’olivier récompensaient les vainqueurs aux Jeux Olympiques (signe de gloire). Le laurier était l’attribut d’Apollon, donc des arts en général (y compris les arts libéraux).

Dans le contexte du tableau, on peut également associer ces différents feuillages verts au printemps et à l’éclosion de la nature.

Les colonnes : porteuses d’un grand nombre de significations, les colonnes semblent ici être le symbole des supports de la connaissance, en tant qu’elle contiendrait l’alphabet (Symboles, p. 270). Cela rappelle que le mot “grammaire” dérive du grec γραμμα, gramma, “le caractère d’écriture”, “la lettre”.

De plus, les colonnes monumentales produisent ici un effet imposant, et participent de l’atmosphère “à l’antique” confirmée par l’inscription en latin sur le ruban.

9. Analyse chromatique :

Les coloris sont clairs. On remarque principalement les tons chair du personnage, la couleur terre des pots de fleurs, le gris des constructions en pierre, ainsi que des bleus et des verts pâles.

Le violet (mauve) : Couleur de la tempérance, fait d’une égale proportion de rouge et de bleu, de lucidité et d’action réfléchie, d’équilibre entre la terre et le ciel, les sens et l’esprit, la passion et l’intelligence, l’amour et la sagesse.

D’autre part, la jeune femme que le vêtement violet/mauve recouvre en grande partie opère une métamorphose en faisant fleurir les graines par l’action de l’eau. Or le violet est aussi la couleur du secret : derrière lui va s’accomplir l’invisible mystère de la transformation (Symboles, p. 1020).

Le jaune pâle (du voile) :  Il est le véhicule de la jeunesse, de la forcela couleur de la terre fertile (ibid., p. 535).

10. Charpente, style et synthèse :

Les lignes de construction sont simples et équilibrées : verticales (colonnes, troncs), horizontales (muret, table). Le personnage, dessiné avec soin, s’inscrit dans un triangle et occupe le centre et la majeure partie du tableau — ce qui confirme son importance et son caractère allégorique.

Laurent de La Hyre loue en la Grammaire un art libéral. Elle permet que les idées, une fois articulées selon les règles, aient un impact sur la vie réelle. C’est une vision optimiste.

Plus près de nous, l’académicien Érik Orsenna écrit : Vous voyez, les mots, c’est comme les notes. Il ne suffit pas de les accumuler. Sans règles, pas d’harmonie. Pas de musique. Rien que des bruits. La musique a besoin de solfège, comme la parole a besoin de grammaire (La Grammaire est une chanson douce, 2001).

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