La mort de César à Rome le jour des Ides de Mars (15 mars) 44 avant notre ère est un événement qui a inspiré de nombreux auteurs, anciens et modernes : écrivains, peintres, dessinateurs de B.D. et cinéastes.
Au XIXè siècle, en France, Jean-Léon GÉRÔME représente le moment qui suit tout juste l’assassinat de César.
C’est un tableau peint entre 1859 et 1867, qui a ensuite été acquis par Henry Walters en 1917, et qui se trouve désormais exposé au Musée Walters de Baltimore.
1. Le peintre : Je n’ai trouvé que peu de renseignements sur ce peintre et sculpteur (1824-1904) dont les œuvres sont marquées par l’Antiquité gréco-romaine.
C’était un adversaire acharné de l’impressionnisme. Cependant dreyfusard, il rendra hommage à Zola sans tenir compte de ses goûts picturaux.
2. L’œuvre : La Mort de César, huile sur toile exécutée entre 1859 et 1867, Musée Walters, Baltimore, États-Unis.
3. Classification : Art pompier.
À l’origine ironique, l’appellation “pompiers” fait référence à “pompeux” mais aussi à une plaisanterie d’atelier faisant allusion aux casques des pompiers des années 1840 qui ressemblaient tout à fait à ceux des héros de l’Antiquité qui peuplent alors les toiles des salons. Le terme se spécialise ensuite pour désigner les peintres académiques de la fin du siècle puis devenir synonyme d’art officiel sous le Second Empire et la IIIè République. Il triomphe au Salon officiel de 1873.
4. Genre ou catégorie : Peinture d’Histoire (le genre le plus noble).
5. LeThème : Historique.
Plusieurs historiens de l’Antiquité (dont les latins Suétone et Valère-Maxime, et les grecs Appien et Plutarque) ont écrit sur la mort de César, mais n’ont pas été des témoins directs de l’événement.
L’assassinat eut lieu à la Curie de Pompée sur le Champ de Mars à Rome, endroit où, nul n’ayant le droit de porter une arme, César était entré avec de quoi écrire (tablette et poinçon ou stylet), mais sans protection d’aucune sorte. Les sénateurs assassins avaient dû cacher chacun un poignard de légionnaire dans les plis de sa toge.
Voici le déroulement du meurtre rapporté par Suétone dans les Vies des douze Césars (César, LXXXII) : Lorsqu’il s’assit, les conjurés l’entourèrent, sous prétexte de lui rendre leurs devoirs. Tout à coup, Tillius Cimber, qui s’était chargé du premier rôle, s’approcha davantage comme pour lui demander une faveur ; et César se refusant à l’entendre et lui faisant signe de remettre sa demande à un autre temps, il le saisit, par la toge, aux deux épaules. “C’est là de la violence,” s’écrie César ; et, dans le moment même, l’un des Casca, auquel il tournait le dos, le blesse, un peu au-dessous de la gorge. César, saisissant le bras qui l’a frappé, le perce de son poinçon, puis il veut s’élancer ; mais une autre blessure l’arrête, et il voit bientôt des poignards levés sur lui de tous côtés. Alors il s’enveloppe la tête de sa toge, et, de sa main gauche, il en abaisse en même temps un des pans sur ses jambes, afin de tomber plus décemment, la partie inférieure de son corps étant ainsi couverte. Il fut ainsi transpercé de vingt-trois coups : au premier seulement, il poussa un gémissement, sans dire une parole. Toutefois, quelques écrivains rapportent que, voyant s’avancer contre lui Marcus Brutus, il dit en grec : “Et toi aussi, mon fils !” Quand il fut mort, tout le monde s’enfuit, et il resta quelque temps étendu par terre. Enfin trois esclaves le rapportèrent chez lui sur une litière, d’où pendait un de ses bras. De tant de blessures, il n’y avait de mortelle, au jugement du médecin Antistius, que la seconde, qui lui avait été faite à la poitrine. L’intention des conjurés était de traîner son cadavre dans le Tibre, de confisquer ses biens, et d’annuler ses actes ; mais la crainte qu’ils eurent du consul Marc-Antoine et de Lépide, maître de la cavalerie, les fit renoncer à ce dessein (traduction de Maurice Nisard, 1855).
6. Bibliographie : L’Histoire de la peinture pour les Nuls (citations sur le peintre et la classification de la toile) ; Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, 1982 (citations dans les analyses symbolique et chromatique) ; article sur “L’assassinat de César” (p. 38-46) dans le magazine L’Histoire d’octobre 1986 (informations diverses) ; Guide de l’Antiquité imaginaire de C. Aziza, éd. Les Belles Lettres, 2008 (synthèse).
7. Analyse iconographique :
La scène se situe à l’intérieur d’un édifice antique aux nombreuses colonnes. Le sol est pavé de mosaïques. On distingue des faisceaux d’armes sur les colonnes au fond, ainsi que, sur la gauche, deux statues monumentales, un trépied élevé et un trône renversé.
Au premier plan gît un personnage vêtu d’une toge et coiffé d’une couronne de feuillage. Au second plan, presque au centre, une sorte de bureau-écritoire et un petit banc sur lequel un parchemin ou un papyrus a été laissé.
À l’arrière-plan, à peu près au milieu de la toile et vers la gauche, un groupe nombreux d’hommes en toges s’éloigne en brandissant des armes : des épées. L’un d’eux se retourne avant de partir avec les autres par un passage voûté.
Sur la droite, un homme est demeuré assis dans son siège, alors que tous les autres sièges sont vides.
8. Analyse symbolique :
Le trône (en bas d’une estrade) : Le trône, le piédestal ont la fonction universelle de support de la gloire ou de manifestation de la grandeur humaine et divine (Symboles, p. 977). Des rumeurs couraient à Rome selon lesquelles Jules César, sur le point de repartir en campagne militaire, allait se faire décerner le titre de roi (à lui seul, il détenait déjà beaucoup de pouvoirs). Or les Romains étaient farouchement hostiles à la monarchie, depuis qu’ils avaient chassé de Rome le dernier roi, en 509 avant notre ère. L’artiste a donc symboliquement représenté ce rejet par le trône renversé.
La statue de “Pompée le Grand” : Puisque c’est la Curie de Pompée, la statue de ce dernier (idéalisé en héros nu) s’impose !
Rival politique de César, Pompée s’est allié à lui personnellement, en devenant son gendre (époux de Julia, qui meurt en couches en 47 avant notre ère), et publiquement, en formant avec lui et Crassus le 1er triumvirat (juillet 60 avant notre ère). Finalement, ils s’opposent dans une guerre civile qui commence en janvier 49 et se termine un an après par la victoire de César à Pharsale. Peu après, Pompée est assassiné en Égypte. Il semble que César soit tombé par hasard au pied de cette statue. Mais les Anciens y ont vu un signe divin, une action de Némésis (divinité de la Justice immanente) : la mort de César aurait été une action permise par les dieux.
Le peintre a donné une dimension impressionnante à cette statue, au socle maculé de sang et gravé Pompeio Magno (À Pompée le Grand), surplombant le cadavre de César.
Les armes (des conjurés qui ont perpétré la mort de César) : L’ambiguïté de l’arme est de symboliser en même temps l’instrument de la justice et celui de l’oppression, la défense, la conquête. En toute hypothèse, l’arme matérialise la volonté dirigée vers un but (Symboles, p. 76).
Certains des meurtriers de César qui avaient une motivation idéologique, pensaient faire œuvre de justice en l’éliminant. C’est peut-être pourquoi leur geste presque unanime, bras levés, fait une sorte d’écho visuel à celui de la statue d’une femme qui lève le bras droit (est-ce la Justice, la Liberté, ou la Patrie ?).
Les armes symbolisent également des fonctions, notamment l’épée qui est un attribut de guerrier. Les faisceaux d’armes accrochés aux murs et colonnes rappellent la suprématie militaire des Romains, et de Jules César en particulier. On peut d’ailleurs noter que J-L Gérôme a préféré montrer des épées plutôt que des poignards — arme de chasseur — même si la mort de César s’apparente à une curée.
9. Analyse chromatique :
Le doré (du trône) : Étant d’essence divine, le jaune d’or devient sur terre l’attribut de puissance des princes, des rois, des empereurs, pour proclamer l’origine divine de leur pouvoir… Le jaune est la couleur de l’éternité comme l’or est le métal de l’éternité (Symboles, p. 535-537).
Le blanc : C’est la couleur de la toge du Romain adulte dans l’Antiquité, qui se défaisait de sa toge prétexte — blanche bordée de rouge — lorsqu’il atteignait sa majorité, pour revêtir la toge virile, immaculée. Cependant, les sénateurs portaient également une toge blanche bordée de pourpre — signe de leur pouvoir. Ici, le peintre a peint des vêtements tout blancs, peut-être parce que dans toute pensée symbolique, la mort précède la vie, toute naissance étant une renaissance. De ce fait le blanc est primitivement la couleur de la mort et du deuil (ibid. p. 125). Elle conviendrait pour souligner la mort de César.
D’autre part, le blanc livide du visage de César mort contraste avec quelques touches de rouge figurant le sang.
10. Charpente et composition :
L’intersection des deux diagonales se fait sur le groupe des conjurés, et notamment sur un homme vu de dos, ce qui rend évidente la fuite des meurtriers, mis en valeur par la lumière blanche qui tombe sur eux.
D’autre part, le tableau est séparé en deux par une ligne verticale qui fait contraster la partie droite vide (tous les sénateurs, sauf un, sont partis) et la gauche/centre (la victime et les assassins).
11. Synthèse :
Ironie de l’Histoire, la mort de César n’aurait servi à rien !
César, assassiné parce qu’il prétendait rétablir la royauté à Rome, sera suivi d’Auguste (Gaius Octavius, petit-fils de sa sœur) qui inaugurera, sous le nom de Principat, une monarchie déguisée — que nous appelons Empire !
Outre les peintres, beaucoup d’auteurs ont “travaillé” sur Jules César, partagés entre fascination admirative et haine profonde. Dans son Guide de l’Antiquité imaginaire, Claude Aziza écrit (p. 235) : Ce caractère de grandeur inaltérable se renforce au XIXè siècle de la coïncidence entre les destinées de César et de Napoléon. Hugo, Michelet, Stendhal, Dumas, Balzac, Mérimée et Flaubert, en France, voient en César l’un des seuls hommes en qui toutes les possibilités humaines se soient pleinement incarnées. En Allemagne, Nietzsche en fait l’un des prototypes du “Surhomme”, tandis que Brecht voit en lui l’image du conquérant sanguinaire et despotique (Les Affaires de M. Jules César, 1949). La distance ironique viendra de l’Angleterre avec G.B. Shaw (César et Cléopâtre, 1901). Mais tous ont une dette envers le Jules César de Shakespeare, dont la première représentation a sans doute été donnée en 1599. C’est là que le personnage atteint sa plus haute complexité, que sauront lui conserver, à travers les siècles, l’opéra (G.F. Haendel, Jules César, 1724) et le cinéma, surtout avec J. Mankiewicz (Jules César, 1953).
Liste non exhaustive. Mais on ne saurait oublier, non plus, les visages différents que lui donnent les bédéistes Jacques Martin (série des Alix) et Goscinny-Uderzo (aventures d’Astérix).