Les Romains et les revenants

Lors de la nuit des “revenants”, le 31 octobre, a lieu l’Halloween

C’est une fête particulièrement célébrée dans les pays anglo-saxons.

Elle honore les esprits des morts et des forces surnaturelles (qui) peuvent sortir une dernière fois avant l’hiver… À cette date, considérée comme très importante dans le calendrier de la sorcellerie, se tient un des plus grands sabbats (Le Livre des Superstitions, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 1724).

C’est pourquoi l’on peut voir maisons et jardins décorés de squelettes, de fantômes (au linceul blanc), de sorcières à balai, de stèles funéraires (avec l’inscription R.I.P.), de toiles d’araignées, et de toutes sortes de créatures effrayantes, qui voisinent avec des citrouilles ciselées et illuminées — façon burlesque de conjurer la peur ancestrale des revenants !

Revenants, citrouilles : Halloween au Canada

En effet, la croyance, qui est universelle, selon laquelle les morts reviennent hanter le monde des vivants existait dans l’Antiquité : les Romains, par exemple, avaient leurs lémures ou larves (âmes des morts) (Superstitions, p. 692).

Les Larves (larva, en latin, signifie “figure de spectre, larve, fantôme”) et les Lémures (lemures, “esprits des morts, spectres, revenants”) étaient honorés lors des fêtes des Lémuries (Lemuria) les 9, 11 et 13 mai.

Le poète latin Ovide (Ier siècle av. et ap. J.C.) décrit ainsi les rites des Lémuries : on apaisera par des offrandes les mânes silencieux… Vers le milieu de la nuit, … l’homme qui est resté fidèle aux rites antiques et qui redoute les dieux se lève ; aucune chaussure n’enveloppe ses pieds… Trois fois il lave ses mains dans l’eau d’une fontaine, il se tourne et prend dans sa bouche des fèves noires ; il les jette ensuite derrière lui en disant : ‘Je jette ces fèves, et, avec elles je rachète moi et les miens.’ Neuf fois il prononce ces paroles sans regarder derrière lui ; selon sa croyance, l’ombre les ramasse et suit ses pas sans être aperçue. De nouveau il plonge ses mains dans l’eau… et après avoir dit neuf fois : ‘Mânes paternels, sortez’ il regarde derrière lui (Fastes, V, extrait des vers 419-492, traduction de Maurice Nisard, 1857).

Les Mânes (Manes, littéralement “les bons” — euphémisme pour les qualifier sans les irriter !) étaient encore un autre nom pour désigner les esprits des morts, puis, par extension, celui des dieux infernaux, qui faisaient peur. Les tombes étaient à l’origine consacrées aux morts sous forme collective et portaient l’inscription Dis manibus sacrum (consacré aux morts divins) ; sous l’Empire il devint habituel d’ajouter le nom de la personne défunte comme si le sens était : consacré à l’esprit divin d’Untel (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 604).

Par exemple, cette stèle dédiée aux mânes d’un procurateur romain se trouve à Londres, près de la station de métro Tower Hill :

et on peut voir celle ci-dessous (qui porte le nom de Messaline, belle-mère de Néron) dans les jardins des Thermes de Dioclétien à Rome :

Diis manibus-Rome

Les Romains croyaient que les morts insatisfaits — en particulier ceux qui étaient morts jeunes ou ceux qui n’avaient pas reçu de funérailles convenables — “revenaient” hanter leurs familles avec des intentions maléfiques. Ils craignaient donc les revenants. Mais y “croyaient”-ils vraiment ?

À la fin du Ier siècle de notre ère, l’écrivain latin Pline le Jeune consacre une lettre entière à l’existence des fantômes et revenants. Dans la lettre XXVII (Livre VII) écrite au philosophe Sura, il commence en disant : Igitur perquam velim scire, esse phantasmata et habere propriam figuram numenque aliquod putes an inania et vana ex metu nostro imaginem accipere. Je serais donc curieux de savoir si vous pensez que les spectres sont quelque chose de réel, et qu’ils ont une forme qui leur soit propre, si vous leur attribuez une puissance divine, ou si ce sont que de vains fantômes auxquels notre frayeur donne de la consistance.

Il s’agit donc d’entamer un débat philosophique sur la réalité et l’illusion, et sur le crédit que l’on peut apporter à ce que l’on perçoit par les sens. Dans le doute, Pline narre plusieurs anecdotes d’apparitions fantastiques.

La plus intéressante met en scène un philosophe :

et un “revenant” vieillard, peut-être semblable à celui-ci :

L’histoire se passe à Athènes (à une date non précisée), où une belle maison vide ne peut se vendre car elle passe pour être hantée. Là dans le silence de la nuit, on entendait un bruit de fer, et, en écoutant avec attention, un frémissement de chaînes qui semblait d’abord venir de loin et ensuite s’approcher. Bientôt apparaissait le spectre : c’était un vieillard maigre et hideux, à la barbe longue, aux cheveux hérissés. Ses pieds étaient chargés d’entraves et ses mains de fers qu’il secouait.

Arrive le philosophe Athénodore, qui est de passage et qui, intrigué par les on-dit sur cette maison, décide de la louer — d’autant plus que son prix est très bas !

Voici la suite et fin de l’histoire : Il se fait dresser un lit dans la salle d’entrée, demande ses tablettes, son poinçon, de la lumière. Il se met à écrire, et applique au travail son esprit, ses yeux, sa main, de peur que son imagination oisive ne lui représente les spectres dont on lui a parlé, et ne lui crée de vaines terreurs. D’abord un profond silence, le silence des nuits ; bientôt un froissement de fer, un bruit de chaînes. Lui, sans lever les yeux, sans quitter ses tablettes, invoque son courage pour rassurer ses oreilles. Le fracas augmente, s’approche, se fait entendre près de la porte, et enfin dans la chambre même. Le philosophe se retourne. Il voit, il reconnaît le fantôme tel qu’on l’a décrit. Le spectre était debout et semblait l’appeler du doigt… Alors, sans tarder davantage, Athénodore se lève, prend la lumière et le suit. Le fantôme marchait d’un pas lent : il semblait accablé sous le poids des chaînes. Arrivé dans la cour de la maison il s’évanouit tout à coup aux yeux du philosophe. Celui-ci entasse des herbes et des feuilles pour reconnaître le lieu où il a disparu. Le lendemain, il va trouver les magistrats, et leur conseille d’ordonner de fouiller en cet endroit. On y trouva des ossements enlacés dans des chaînes. Le corps, consumé par le temps et par la terre, n’avait laissé aux fers que ces restes nus et dépouillés. On les rassembla, on les ensevelit publiquement, et, après ces derniers devoirs, le mort ne troubla plus le repos de la maison (traduction de l’édition Garnier, Paris, 1920).

De toute évidence — et sacrilège aux yeux des Anciens — les rites funéraires n’avaient pas été accomplis correctement à la mort de ce vieillard. Au passage, on peut remarquer que ce spectre correspond à un stéréotype : un être hideux et décharné, agitant des chaînes. Ici il est grec et ancien, mais il pourrait aussi bien être moderne et écossais !

Presque convaincu de la réalité de ce phénomène surnaturel, Pline termine sa lettre en redisant à son interlocuteur sa perplexité : il ne le consulte que pour s’en délivrer.

Dans une optique moderne, qu’on croie, ou non, aux revenants, aux fantômes, L’image du revenant matérialise en quelque sorte et symbolise en même temps la crainte des êtres qui vivent dans l’autre monde. Le revenant est peut-être aussi une apparition du moi, d’un moi inconnu, qui surgit de l’inconscient, qui inspire une peur quasi-panique et que l’on refoule dans les ténèbres. Le revenant serait la réalité reniée, redoutée, rejetée (Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 816-817).

Des revenants : Squelettes dans l'atelier de J. Ensor

La question de l’existence de ce spectre chargé de chaînes et celle, plus vaste, des revenants inquiétèrent autrefois de savants Romains.

Mais les squelettes modernes — tels ceux du tableau ci-dessus intitulé Des squelettes dans l’atelier (1900) de James Ensor, peintre belge — et les fantômes et les autres monstres convoqués pour l’occasion réjouissent de nos jours les enfants, qui aiment avoir peur à l’Halloween !

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