Belgique (septembre 2015)

J’ai passé la troisième semaine de septembre en Belgique.

Je n’ai visité que trois villes (Bruges, Bruxelles et Ostende), mais j’y ai fait beaucoup de belles trouvailles linguistiques et iconographiques.

En l’honneur des nombreux Belges lecteurs de mon blog, et en souvenir de mes anciens élèves belges latinistes, je me suis particulièrement intéressée à ce qui avait trait à la langue et à la civilisation latines dans ce pays.

Je garantis l’authenticité des photos que je présente — un petit échantillon par rapport à tout ce que j’ai vu.

Voici d’abord des enseignes de cafés-restaurants, à Bruges.

Peut-on y voir comme moi, d’une part l’affirmation d’un certain épicurisme (Carpe diem), d’autre part le caractère divin (Pro Deo), à moins que ce ne soit la gratuité (Gratis pro Deo), de la gastronomie locale ?

Voici ensuite, des marques de bières.

Primus, la “première” parmi une centaine d’autres, et delirium, le délire, voire le delirium tremens — si on en abuse au point de voir des éléphants roses !

Je vous montre également des boutiques de luxe.

Pour des vêtements réservés à un petit nombre d’hommes élégants (le quorum étant le minimum de membres qu’une assemblée doit avoir pour prendre des décisions) ? Et pour indiquer la “touche finale” qu’apporte un parfum in fine ?

Même les galeries marchandes empruntent au latin.

À Bruxelles, l’une d’entre elles affiche un ambitieux slogan : Omnibus omnia pour dire qu’il y a de tout, et pour tout le monde ! Il est vrai que les commerçants s’y placent sous la protection de Mercure, dieu du Commerce, dont l’effigie se remarque dans un médaillon au-dessus de l’entrée.

Tandis que le port d’Ostende s’est mis sous le patronage de Neptune, dieu latin de la Mer et des poissons, et de Mercator (alias Gérard de Cremer), le géographe qui, au XVIè siècle, a révolutionné la représentation cartographique de la Terre, facilitant ainsi le travail des marins et des entreprises maritimes.

Il y a aussi un yachtman nostalgique de l’époque de César!

On pourrait multiplier les exemples.

Car la raison d’être de tous ces emprunts à la culture latine, c’est de l’Histoire ancienne.

En effet, au 1er siècle avant notre ère, les Belges, selon le Dictionnaire de l’Antiquité, étaient un groupe de population qui, à l’époque romaine, occupait une partie de la Gaule. Leur zone était limitée au sud par la Seine et la Marne, à l’ouest par la mer, à l’est et au nord par le Rhin (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 146).

Les cartes ci-dessous indiquent les frontières de la Gaule Belgique — une des trois parties de la Gallia Comata (“la Gaule aux cheveux longs”), ainsi divisée, en 51 avant notre ère :

C’est Jules César, qui, alors qu’il guerroyait en Gaule depuis -57, dut faire face à la révolte de nombreux peuples belges contre l’armée romaine.

Consacrant le Livre II de ses Commentaires sur la Guerre des Gaules, à la situation en Belgique, il écrit : Cum ab iis quaereret quae civitates quantaeque in armis essent et quid in bello possent, sic reperiebat : plerosque Belgas esse ortos a Germanis Rhenumque antiquitus traductos propter loci fertilitatem ibi consedisse Gallosque qui ea loca incolerent expulisse, solosque esse qui, patrum nostrorum memoria omni Gallia vexata, Teutonos Cimbrosque intra suos fines ingredi prohibuerint ; qua ex re fieri uti earum rerum memoria magnam sibi auctoritatem magnosque spiritus in re militari sumerent. César leur demanda quels étaient les peuples en armes, leur nombre et leurs forces militaires. Il apprit que la plupart des Belges étaient originaires de Germanie ; qu’ayant anciennement passé le Rhin, ils s’étaient fixés en Belgique, à cause de la fertilité du sol, et en avaient chassé les Gaulois qui l’habitaient avant eux ; que seuls, du temps de nos pères, quand les Teutons et les Cimbres eurent ravagé toute la Gaule, ils les avaient empêchés d’entrer sur leurs terres. Ce souvenir leur inspirait une haute opinion d’eux-mêmes et leur donnait de hautes prétentions militaires (traduction de Maurice Nisard, 1865).

Et après cette petite leçon d’Histoire, César, à de multiples reprises, répète son admiration pour les Belges et exprime “la haute idée qu’il avait de leur courage eximiam opinionem virtutis.” (ibid.) — ce qui ne manque pas de rehausser sa victoire sur eux !

Et après la conquête, les peuples devinrent des Gallo-Romains, adoptant l’administration, la religion et la langue de Rome, et apportant en échange leur savoir-faire en agriculture et en artisanat (ils produisaient déjà bière, tonneaux, textiles, vannerie etc.).

De l’époque romaine, je n’ai vu que les vestiges d’un bateau au Musée archéologique de Bruges :

Mais les siècles ont passé et, comme on peut le constater encore dans la Belgique actuelle, les témoignages en latin perdurent.

Ils sont visibles dans les inscriptions des bâtiments (XVIIè-XIXè s.) de la magnifique Grand’Place de Bruxelles.

Je ne montrerai que deux de ces bâtiments qui entourent la place.

Voici le premier : les statues sont des allégories des cinq continents.

Et voilà le deuxième : un immeuble porteur d’une longue citation en latin et que protègent plusieurs dieux olympiens (Mercure, Neptune et Minerve, déesse de la Sagesse).

Lié historiquement aux pouvoirs politique et scientifique, et à l’opulence due au commerce, le latin a toujours la cote en Belgique.

De récents produits commerciaux portent un nom latin.

Il est incontestablement bien choisi pour le service de télécommunications Proximus qui rend chacun “très proche”. L’est-il aussi pour ce magasin de vêtements qui s’appelle Veritas ?

Et puisque le latin est un argument “vendeur”, pourquoi ne pas créer des mots qui ont l’air d’en être ?

En Belgique on sait faire preuve d’humour : atomium (inventé) n’est pas loin d’atomus (“atome”) ni talentus (inventé) de talentum (“un talent” — monnaie grecque qui permet un jeu de mots sur le “talent”, expertise) !

Mais c’est sur du vrai latin que se conclut ce long article (pourtant non exhaustif).

Vous avez un “bonjour” ou un “au revoir”, bref un “salut” de Bruges : SALVE !

Salve-Bruges

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