Une remarquable exposition intitulée en français “Les gladiateurs et le Colisée. Mort et Gloire.” s’est tenue au Musée Canadien de la Guerre à Ottawa du 13 juin au 7 septembre 2015. Elle a duré presque autant de temps que les célébrations et les jeux qui inaugurèrent le Colisée à Rome pendant l’été 80 de notre ère !
Il était interdit de photographier les artefacts et documents exposés, sauf la murale en papier peint reproduisant une mosaïque de gladiateurs de la Galerie Borghese et datant du IVè siècle. Ce sont donc ces copies, ainsi que des photos que j’ai prises lors de mes voyages, qui illustreront cet article.
Pour justifier le titre de l’exposition, le prospectus du Musée expliquait que L’image du héros que projette le gladiateur est répandue dans la culture populaire. Mais qui étaient ces combattants professionnels ? Quel genre d’existence menaient-ils dans les coulisses du Colisée, l’arène la plus grandiose de l’Empire romain ?
Le Colisée s’est d’abord appelé “Amphithéâtre flavien” (en latin Amphitheatrum magnum ou Grand Amphithéâtre), du nom de la dynastie des empereurs qui le firent construire : Vespasien, puis ses fils, Titus et Domitien.
Par choix politique — pour montrer que l’empereur se souciait de divertir ses concitoyens — l’amphithéâtre fut construit au cœur de la Ville, et non à l’extérieur, comme c’était l’usage, sur l’emplacement du lac artificiel de la Maison Dorée (Domus Aurea) de Néron. Or Néron avait aussi fait ériger un Colosse (Colossus), probablement semblable à la gigantesque statue d’Apollon à Rhodes, le “Colosse de Rhodes” — une des Sept Merveilles du monde antique. D’où le nom latin (et anglais) de Colosseum, Colisée en français, donné ensuite à l’imposant amphithéâtre, et impliquant — avec un sens encore actuel — une notion de prestige, voire de démesure !
En effet, pour prendre la dimension, véritablement “colossale” du Colisée, voici quelques chiffres décrivant le monument : hauteur = 52 m, longueur = 188 m, largeur = 152 m, capacité = 55 000 spectateurs. Le public était placé selon son importance sociale, à savoir dans l’ordre : l’empereur et la cour, les notables, les femmes, les hommes mariés pauvres, les soldats, les étrangers, les écoliers et les professeurs !
Il fallut 100 000 mètres cubes de blocs de calcaire, assemblés au moyen de 300 tonnes de fixations de fer. Les travaux durèrent dix ans et furent financés par le Trésor du Temple de Jérusalem, où une révolte juive contre la domination romaine fut sévèrement matée par Titus, en 70 de notre ère.
80 arches et 160 portes composaient la façade, décorée de 160 statues en marbre.
Les multiples incendies, tremblements de terre et pillages n’ont laissé que peu de vestiges de cette superbe décoration. Mais des peintres du XIXè siècle montrent le Colisée au milieu de la nature — une vision presque idyllique.
Au sommet de l’amphithéâtre, une immense toile (velum) tendue par des marins de la flotte impériale, habitués à manier les voiles, protégeait le public du soleil. Sur l’arène (la partie centrale, recouverte de sable, arena en latin), on répandait du sable pour masquer les taches de sang résultant des combats, tandis que des parfums chassaient momentanément l’air nauséabond. Et, sous l’arène, un labyrinthe de quinze couloirs servait de “coulisses” aux êtres humains et aux animaux qui participaient aux “jeux du Cirque” (ludi circenses).
Car le Colisée était le lieu de spectacles violents et sanglants, de tradition italienne, par différence avec les jeux grecs qui étaient sportifs.
Les gladiateurs (du latin gladius, le glaive) — qu’ils aient été prisonniers de guerre, criminels condamnés, esclaves achetés et entraînés, ou hommes libres (déchus de leur citoyenneté) désireux d’argent et de renommée — portaient généralement armes et armures, comme des soldats. Et, comme les soldats, ils risquaient leur vie : c’est ce qu’indique sur la mosaïque ci-dessous la lettre grecque Θ (theta majuscule, initiale de Θανατος, Thanatos, la Mort), mise à côté du nom du vaincu. Mais plus que les soldats, ils bénéficiaient des meilleurs soins médicaux, et certains d’entre eux étaient adulés par la foule.
On distinguait le rétiaire (retiarius, torse nu avec une épaulière, et armé seulement d’un filet, d’un trident et d’une dague), le secutor (portant casque, épée, bouclier, armure), le mirmillon (murmillo, avec casque, bouclier, sabre, et une armure de 18 kg, ce qui est le poids du vêtement d’un gardien de but de hockey sur glace au Canada, de nos jours), le thrace (Thraex, bras et jambes protégés, épée courte) ou le provocator (casque, cuirasse, armure au bras droit et à la jambe gauche, grand bouclier) et d’autres encore.
Les combattants étaient appariés (ordinarii pares) de manière que le duel dure le plus longtemps possible. Par exemple, on associait le rétiaire et le mirmillon, tous deux très mobiles, donc devant faire preuve de stratégie pour gagner. Le vainqueur recevait une branche de palmier, comme sur la stèle funéraire du victorieux gladiateur Peitherotas, trouvée à Thessalonique, en Grèce :
D’autre part, il y avait les venationes, combats entre hommes et bêtes sauvages.
On importait d’Afrique et d’Asie des lions, panthères, éléphants, hyènes, antilopes, gazelles, autruches, girafes, singes et tigres — animaux exotiques qui plaisaient à la foule romaine.
Ces espèces étaient déjà en danger … car, lors des journées d’inauguration du Colisée, pas moins de 5 000 bêtes furent tuées !
À l’origine liés à des rites funéraires privés, les combats de gladiateurs finirent par s’insérer dans le culte public et par devenir des cadeaux (munera) faits au peuple par des hommes politiques. Censés développer la virilité et le goûts des arts martiaux qui conviennent à une société militariste, ils devinrent peu à peu un instrument de pouvoir.
Plusieurs auteurs latins se sont exprimés sur ces jeux, et leurs opinions divergent considérablement.
Au premier siècle avant notre ère, Cicéron, dans un passage des Tusculanes (§ 41), compare les gladiateurs (qui étaient entraînés dans des écoles, les ludi gladiatorii) et ceux qui s’exercent à la philosophie. Selon lui, l’accoutumance à la douleur, grâce à une ascèse constante du corps, permet d’envisager et d’affronter la mort courageusement. “Cum vero sontes ferro depugnabant, auribus fortasse multae, oculis quidem nulla poterat esse fortior contra dolorem et mortem disciplina Mais à l’époque où c’étaient des condamnés qui s’entretuaient, nulle leçon d’énergie devant la douleur et la mort ne pouvait agir plus efficacement, du moins parmi celles qui s’adressent non aux oreilles, mais aux yeux.”
Pour Cicéron, de simples gladiateurs, pourtant “barbares” et “hommes perdus”, donnent l’exemple du courage devant la mort. Tout le monde les voit mourir, et leur manière de mourir est en soi une leçon plus grande que les enseignements des Sages.
Tout autre est le point de vue de Sénèque, au premier siècle de notre ère. Dans la lettre VII à son ami Lucilius, il montre combien le spectacle des jeux de l’amphithéâtre est néfaste pour la conscience morale de chacun.
Ces divertissements se résument pour lui en trois mots : “lusus, sales, homicidia, jeux, plaisanteries salées et meurtres !” Des meurtres ? En effet, explique-t-il, “non galea, non scuto repellitur ferrum. Quo munimenta ? quo artes ? omnia ista mortis morae sunt. Ici, pas de casque, pas de bouclier qui arrêtent le fer. Pourquoi des pièces de protection ? À quoi bon des passes savantes ? Tout cela ne fait que retarder la mort.” C’est la foule cruelle et vulgaire qui force les gladiateurs à s’entretuer. Les spectateurs sont donc complices de ces assassinats collectifs et sortent dégradés de ces spectacles dégradants.
Plus tard, saint Augustin redira la fascination morbide qu’exerça sur son ami Alypius (qui s’était bouché les yeux, mais pas les oreilles !) le spectacle de gladiateurs s’entretuant bruyamment.
Les jeux de l’amphithéâtre existèrent pendant six cents ans (de -264 à +404) — ce qui a pu marquer les mentalités.
D’autre part, depuis la construction du Colisée les “arènes” ont toujours la même forme : une aire de jeu ronde ou ovale, entourée de gradins sous lesquels se trouvent l’entrée, les galeries, les couloirs et les escaliers.
Actuellement encore, de grands événements sportifs ont lieu partout dans le monde dans des bâtiments inspirés par le Colisée romain.
On pouvait même voir cette image publicitaire (avec arène, gradins et “gladiateurs”) pour un écran de TV à l’aéroport d’Ottawa en août 2015.
Plus tard, j’ai vu aussi cette affiche de chanteurs japonais portant quelques accessoires de gladiateurs et se produisant au “Music Colosseum” à Tokyo, en 2017.
Quant aux rugbymen du Stade Rochelais (La Rochelle, France), leur campagne publicitaire de 2018 les montre en impressionnants gladiateurs.