Le feu sacré de Vesta

Dans l’Antiquité, à Rome, des cérémonies en l’honneur de Vesta — divinité essentielle pour la Ville — avaient lieu du 9 au 15 juin.

C’était une période néfaste, où il était interdit de se marier et déconseillé d’entreprendre quelque affaire importante à l’extérieur de la Ville (voyage, commerce, guerre etc.). Il fallait seulement se consacrer à honorer les dieux.

Que se passait-il, et pourquoi ?

Au nombre des douze dieux olympiens, Hestia, sœur de Zeus/Jupiter, fut adorée tant par les Troyens que par les Grecs, puis, sous le nom de Vesta, par les Romains. Déesse du Foyer, elle était l’allégorie du Feu.

Il est rare de voir une représentation figurative de cette divinité. Ce que confirme le poète latin Ovide qui écrit dans les Fastes (long calendrier poétique) au Ier siècle : il n’est point d’images qui représentent le feu ni Vesta (Fastes, VI ; traduction de Maurice Nisard, 1857).

Mais il y a au Musée Walters de Baltimore (USA) un haut-relief sur lequel est gravée une procession des douze Olympiens.

En tête (à l’extrême-gauche), se trouve Hestia/Vesta tenant un sceptre.

Vesta était vierge, ce qui s’explique d’abord par le vœu de chasteté qu’elle avait prononcé toute jeune, ensuite par le fait qu’elle ne sortait guère de sa demeure, et enfin par l’aide qu’elle avait reçue d’un âne. En effet, raconte Ovide, un jour qu’elle s’était endormie après un banquet copieux en plein air, elle faillit être violée à son insu par le dieu Priape, et ne dut sa sauvegarde qu’à la voix retentissante d’un âne qui, s’étant alors mis à braire, réveilla la déesse et effraya le lubrique individu (ibid.).

Le Dictionnaire de l’Antiquité (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 1040) signale que le très ancien culte de Vesta de familial, devint national : un feu sacré fut entretenu dans un petit temple rond sur le Forum. Selon la légende, le temple aurait été à l’origine la maison du second roi de Rome, Numa Pompilius, et les premières vestales, ses filles.

Les six vestales, ou prêtresses de Vesta, issues de l’aristocratie, étaient chargées d’entretenir sans cesse le feu. Elles vivaient dans l’Atrium Vestae (la Maison des Vestales), près du temple de la déesse. Le peintre français Jean-Baptiste Chardin a représenté (voir la photo en tête de l’article) les vestales entretenant le feu, sur un tableau (huile sur toile, 1760-70) qui ressemble à un bas-relief en pierre (Art Institute Museum, Chicago).

Recrutées jeunes, mais pour au moins trente ans, les vestales devaient rester vierges : Faut-il s’étonner si, vierge elle-même, elle veut des vierges pour prêtresses, ne confiant qu’à de chastes mains le soin de son sanctuaire ? Qu’est-ce en outre que Vesta, sinon la flamme ardente ? Or la flamme n’a jamais rien engendré ; c’est donc à bon droit qu’elle est vierge, et qu’elle s’entoure de compagnes, vierges aussi, celle qui ne donne et ne reçoit aucun germe de vie (Ovide, ibid.).

Une vestale soupçonnée d’avoir enfreint son vœu de chasteté était mise à mort, enterrée vivante. De même, celle qui avait laissé le feu s’éteindre, ou celle qui avait commis un parjure. On peut voir une illustration de ce châtiment dans la BD (série des Alix) intitulée Le Testament de César de Jacques Martin et Marco Venanzi (éd. Casterman, 2010). Exception notable : la vestale Rhéa Silvia, séduite par le dieu Mars, donna le jour à Romulus et Rémus sans y perdre la vie !

Dans son ouvrage Actions et paroles mémorables, l’écrivain latin Valère Maxime, au Ier siècle, rapporte un miracle qui sauva une jeune vestale, nommée Tuccia, accusée faussement d’inceste, et donc passible de ce châtiment fatal. Forte du sentiment de sa pureté, elle osa chercher son salut par un moyen risqué. Elle saisit un crible et, s’adressant à Vesta : “Si j’ai toujours approché de tes autels avec des mains pures, accorde-moi de prendre dans ce crible de l’eau du Tibre et de la porter jusque dans ton temple.” Quelque hardi et téméraire que fût un pareil vœu, la nature obéit d’elle-même au désir de la prêtresse (Factorum et dictorum memorabilium libri novem, tome II, Livre VIII, ch. 1, traduction Pierre Constant, éd. Garnier, 1935).

Au XVIIè siècle encore, on appelait “vestale” une femme d’une parfaite chasteté (Dictionnaire Petit Robert). Et c’est de la fonction des vestales que vient l’expression “avoir le feu sacré” qui signifie, au sens figuré, “avoir de l’enthousiasme pour accomplir une tâche”.

Vestales à un banquet, Palazzo Massimo, Rome
Vestales à un banquet, Palazzo Massimo, Rome

En compensation de cette charge exigeante, les vestales jouissaient d’un très grand prestige dans la société romaine. Elles avaient, en outre, le privilège de pouvoir gracier les condamnés à mort qu’elles rencontraient sur le chemin de leur supplice.

Le 9 juin, jour des Vestalia, les matrones (femmes mariées) se rendaient au temple de Vesta en procession, pieds nus, pour offrir des sacrifices. Ovide justifie les “pieds nus” en expliquant qu’autrefois le Forum était un marais avec un marécage qu’on ne pouvait aborder sans ôter sa chaussure. Les eaux stagnantes se sont retirées, le fleuve est contenu par ses rives, le sol est à sec, mais le vieil usage s’est conservé (Fastes, VI).

C’était aussi la fête des ânes, animal fétiche de Vesta depuis sa mésaventure avec Priape. Pour l’occasion, les ânes ne travaillaient pas à tourner les meules des meuniers, mais défilaient couverts de guirlandes de petits pains !

Car on célébrait également la fête des boulangers, dont Vesta était la patronne. En effet, Ovide raconte encore que, alors que Rome était assiégée par les Gaulois et menacée de famine, Jupiter avait ordonné à Vesta que toute farine devienne du pain et que ce pain soit jeté sur les assiégeants pour leur montrer l’inutilité de leur siège. L’ennemi perd tout espoir de triompher par la famine ; il se retire, et un autel, éclatant de blancheur, est consacré à Jupiter Pistor (Jupiter, le boulanger).

Reconstitution d'une boulangerie romaine, Montans (Tarn, France)
Reconstitution d’une boulangerie romaine, Montans (Tarn, France)

Outre le feu qui cuit le pain — symbole de civilisation — Hestia/Vesta protégeait les familles. On peut noter que, de nos jours encore, le mot “foyer” désigne à la fois la famille et le feu.

Et toute famille avait un autel domestique, le laraire (lararium), qui contenait de petites statuettes représentant les Pénates (dieux du garde-manger) à qui on offrait des assiettes de nourriture.

Lararium, Musée Walters, Baltimore
Lararium, Musée Walters, Baltimore

C’est pourquoi, dans le temple de Vesta on vénérait également les Pénates publics, protecteurs de l’État ainsi que de différents lieux de la Ville.

Dans l’Antiquité, comme de nos jours, les “pénates” désignaient familièrement le domicile, et par extension, le pays, la patrie. On pouvait donc “rentrer dans ses pénates”.

Ainsi, la déesse du Feu, du Foyer et des Pénates symbolisait-elle la continuité d’une civilisation et de ses lumières au mépris des émigrations, des destructions, des révolutions et des vicissitudes du temps (Petit Larousse des mythologies du monde).

Vesta était donc une divinité essentielle et il importait de l’honorer par une semaine de purifications.

Le 15 juin, la vie active de la cité reprenait.

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