Je viens de voir une exposition sur la Grèce au Musée d’Archéologie et d’Histoire de Montréal (Canada) : cette exposition s’intitule Les Grecs. D’Agamemnon à Alexandre le Grand. Elle rassemblait des artefacts venus de divers musées européens.
Hormis l’affiche, il n’était pas permis de photographier à l’intérieur du musée. C’est pourquoi, sans montrer les objets grecs exposés, mais grâce à quelques photos que j’ai pu prendre sur les mêmes thèmes lors de mes voyages, je vous invite à une expo “parallèle” et gratuite !
Sur un panneau situé dans la dernière salle, une inscription récapitule ce que nous devons aux Grecs de l’Antiquité : Une Grèce immortelle. Ce que les Grecs nous ont légué : la démocratie, la poésie, la science, le théâtre, la médecine, la philosophie, la géométrie, l’architecture, la sculpture et leur langue (le grec). La Grèce antique vit en chacun de nous.
Démonstration en quelques lignes et images :
La démocratie (δημοκρατια gouvernement du peuple), au sens d’un régime politique où les décisions sont prises par tous les citoyens mâles au vote majoritaire, a son origine dans la Grèce ancienne et c’est la démocratie athénienne du Vè siècle av. J.C. qui se rapproche le plus de cet idéal. C’est Clisthène qui posa en 508 av. J.C. les bases de la démocratie athénienne, qui devait durer jusqu’à la conquête macédonienne en 322 av. J.C., indique le Dictionnaire de l’Antiquité (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 295).
Le héros de la défense (vaine) d’Athènes contre les conquêtes de Philippe II de Macédoine et ses successeurs est Démosthène, orateur habile dont les discours inspirèrent plus tard Cicéron à Rome, notamment les Philippiques. D’ailleurs, le terme de “philippique” désigne encore de nos jours un violent discours contre quelqu’un. Cicéron fit l’éloge de son style en le disant presque parfait et à qui il ne manquait absolument rien (plane quidem perfectum et cui nihil admodum desit, Demosthenem facile dixeris — extrait de Brutus, traité de rhétorique).
Patriote contesté mais citoyen engagé, Démosthène, qui a payé de sa vie ses opinions politiques, est devenu un symbole de la lutte contre l’impérialisme. Il est un symbole encore actuel, si l’on en juge par cette statue placée au centre-ville de Copenhague, au Danemark.
La poésie (ποιησις fabrication, création), sous des formes et registres divers (épopées, odes et lyrisme etc.), est un art très ancien chez les Grecs. Il est illustré entre autres par Homère et Sapho (VIIIè et VIIè siècles avant notre ère), la poétesse de Lesbos — tous deux célèbres au point d’avoir laissé leurs noms dans la langue française (“homérique”, “saphisme”, “lesbienne”) :
La science est représentée, dans cette exposition, par Aristote, dont les dates de vie (384-322) coïncident exactement avec celles de Démosthène — ironie de l’Histoire, car lui fut un ami des souverains macédoniens, son père étant médecin du roi de Macédoine. Né à Stagire, en Chalcidique, il fait encore la fierté de la Grèce du Nord, et l’on trouve sa statue et une place à son nom dans la Thessalonique moderne.
Il créa le Lycée à Athènes, qui se caractérisa par des recherches savantes très variées, littéraires, scientifiques et philosophiques. Aristote collectait manuscrits et cartes et il constitua la première bibliothèque d’importance de l’Antiquité en même temps qu’un musée d’objets naturels, entreprise dont on dit qu’elle bénéficia de l’aide d’Alexandre (dont il fut le précepteur de 343 à 336), selon le Dictionnaire de l’Antiquité (p. 88-95).
Aristote laisse son nom à son système de pensée (“aristotélicien”, “aristotélisme”), à son école (“lycée”, “péripatéticiens”) et à une partie de l’anatomie de l’oursin (“la lanterne d’Aristote”, qu’il a observée en sciences naturelles).
Le théâtre (θεατρον l’édifice, ou l’ensemble des spectateurs) a connu un essor remarquable au Vè siècle avant notre ère, au moment de la prospérité d’Athènes, sous Périclès.
De nos jours encore, les pièces des tragiques grecs Eschyle, Sophocle et Euripide, ainsi que du comique Aristophane figurent au répertoire des compagnies théâtrales ; les personnages d’Antigone ou d’Oedipe sont devenus des archétypes.
Les acteurs étaient uniquement des hommes et portaient des masques d’argile avec une large ouverture servant de porte-voix.
Pour distinguer les deux genres, on a pu dire : La tragédie où tout commence bien mais finit mal pour le héros, et la comédie où tout commence mal mais finit bien.
En plus d’avoir une fonction religieuse, le théâtre était politique. Maurice Sartre, qui déclare Aristophane comme étant sans tabou et d’une très grande liberté d’expression à Athènes, écrit que dans la cité démocratique, la farce, c’est-à-dire la satire, la dérision, la moquerie la plus débridée, a sa place (Magazine L’Histoire, avril 2015, p. 52).
Liée à la science et à la religion, la médecine grecque, avec Asclépios/Esculape (dieu de la Guérison auquel est associé un serpent enroulé autour d’un bâton, un “caducée”) et sa fille Hygie, et des praticiens comme Hippocrate (Vè s. avant notre ère) et Galien (IIè s. de notre ère), est l’ancêtre de la médecine moderne.
En conséquence, le lexique médical français et anglais est formé sur des étymologies grecques, Hygie a donné les mots “hygiène, hygiénique” et les futurs médecins prêtent encore un “serment d’Hippocrate”, à peine modifié par rapport à l’originel.
La philosophie (φιλοσοφια amour de la connaissance, culture intellectuelle et morale, goût de la science et art de vivre) est, selon le Dictionnaire de l’Antiquité, née au VIè siècle parmi les Ioniens, en Asie Mineure. Elle était alors essentiellement intéressée par une spéculation sur la cause de l’univers, et elle est associée au nom de Thalès de Milet … La philosophie grecque atteint son point culminant avec Socrate, durant la seconde moitié du Vè siècle, et avec Platon et Aristote, au IVè siècle (op. cit. p. 760-762).
Thalès et Pythagore étaient des philosophes, mais aussi des mathématiciens, car les deux disciplines, basées sur des concepts abstraits, étaient très liées.
Voici, par le peintre français Laurent La Hyre, l’Allégorie des Mathématiques (1650, Musée Walters de Baltimore) :
Les théorèmes de Thalès et de Pythagore sont encore enseignés de nos jours, ainsi que ceux d’Euclide, dont le nom est presque devenu synonyme de “géométrie”, selon le Dictionnaire de l’Antiquité.
D’ailleurs Cicéron confirme la supériorité de la Grèce sur Rome dans ce domaine en écrivant : In summo apud illos honores geometria fuit, itaque nihil mathematicis industrius ; at nos metiendi ratiocinandique utilitate hujus artis terminavimus modum Les Grecs tenaient en très grand honneur la géométrie : c’est pourquoi rien n’a brillé chez eux d’un plus vif éclat que les mathématiques, tandis que nous, nous n’avons pas poussé au-delà de ce qu’exige la pratique de l’arpentage et du calcul (Tusculanes, I, 1-2, traduction de l’édition Hatier, 2008).
Quant à l’architecture et la sculpture, elles étaient aussi liées à la géométrie, puisque c’est Euclide qui serait à l’origine du “nombre d’or”, désigné par la lettre φ (phi), en hommage à Phidias, le célèbre sculpteur de la statue d’Athéna chryséléphantine (en or et ivoire, haute de 9 m) du Parthénon d’Athènes.
Admirés pour leur “divine proportion” par les artistes de la Renaissance, les œuvres d’art et les édifices grecs sont devenus des critères de Beauté absolue. D’où les innombrables imitations “à la grecque” dans les villes européennes et nord-américaines (Mouvement Greek Revival au XIXè siècle) :
Enfin, il y a le grec.
L’anglais et le français contiennent plusieurs milliers de termes ayant une étymologie grecque, notamment, on l’a vu plus haut, dans le lexique de la médecine et des sciences. Dans cette institution scolaire située à Oxford, le slogan grec (Agonizou ton kalon agona tês pisteos) affiche un système d’éducation et d’émulation basé sur la confiance.
À cet héritage, déjà considérable, on pourrait ajouter les Jeux Olympiques et la musique — originaires également de Grèce, et encore actuels.
Si cet inventaire vous a plu, et que vous ne puissiez pas écumer tous les musées de Grèce pour contempler ces beaux artefacts, rendez-vous pour voir la même exposition à Ottawa (Musée canadien de l’Histoire, du 5 juin au 12 octobre 2015), ou à Chicago (The Field Museum, du 24 novembre 2015 au 10 avril 2016), ou enfin à Washington (National Geographic Society, du 26 mai au 9 octobre 2016) !
Il y avait beaucoup de monde à Montréal. Preuve, s’il en est besoin, à un moment où l’enseignement des langues anciennes en France fait l’objet de réformes et de débats, que l’Antiquité grecque intéresse toujours !
Nous sommes tous grecs.