En parcourant la ville moderne de Rome, on rencontre toutes sortes de memento mori (sarcophages, tombes, stèles et autres monuments funéraires) qui portent des inscriptions en latin.
Par exemple, la photo de couverture montre un alignement de stèles situées dans le jardin des Thermes de Dioclétien.
J’ai vu une plaque mi-latine mi-italienne qui a retenu mon attention.
À l’origine, en Grèce, l’épitaphe, ou inscription funéraire, prenait la forme d’une épigramme — court poème en vers composés de manière à donner l’impression que le mort ou le dédicataire s’adressait directement au lecteur en lui donnant des faits bruts dans un style austère et laconique, selon le Dictionnaire de l’Antiquité (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 371).
Plus tard, à Rome, l’épigramme et l’épitaphe, qui avaient en commun leur brièveté, finirent par se distinguer l’une de l’autre et par prendre des sens encore actuels en français.
L’épigramme caractérise un court poème satirique, comme par exemple “Odi et amo” de Catulle.
L’épitaphe, elle, est soit une apostrophe à celui qui passe près d’une tombe et qui est souvent interpellé par la formule : Cave viator ! Attention, passant ! (comme si la personne morte s’adressait au vivant) , soit une remarque s’appliquant au défunt.
Dans certains cas, l’épitaphe se réduisait à quelques lettres, faciles et moins chères à graver sur la pierre : NF. F. NS. NC. — abréviations mises pour Non Fui. Fui. Non Sum. Non Curo — que Claude Gagnière traduit par : Je n’ai pas été. J’ai été. Je ne suis plus. Je m’en fiche (Pour tout l’or des mots, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, 1997).
On sait que les Romains aimaient beaucoup les sigles (S.P.Q.R. en est une preuve). Mais, par ailleurs, la sobriété de l’expression raccourcie et réduite à un acronyme donne plus de pathétique au constat de la brièveté de la vie.
Dans le cas qui nous intéresse ici, cette plaque, apposée à l’entrée d’un cimetière pour demander l’aumône, représente un squelette ailé montrant l’épigramme latine : Hodie mihi, cras tibi que je traduis par : Aujourd’hui, c’est mon tour, demain ce sera le tien. C’est, à proprement parler, un memento mori.
Le squelette personnifie la mort.
Cependant, selon le Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins, éd.Robert Laffont, p. 909), Il ne représente pas une mort statique, un état définitif, mais une mort dynamique, si l’on peut dire, annonciatrice et instrument d’une nouvelle forme de vie. Le squelette, avec son sourire ironique, symbolise le savoir de celui qui a franchi le seuil de l’inconnu, celui qui a percé par la mort le secret de l’au-delà. Et, du fait qu’il porte des ailes, il devient ici une allégorie à la fois platonicienne et chrétienne : il symbolise une libération et une victoire. Ce n’est donc pas une vision pessimiste !
En effet, dans le Satyricon, l’écrivain Pétrone met en scène un banquet au cours duquel son organisateur, le riche parvenu Trimalcion, offre à ses convives un vin exquis et rare (de plus de cent ans d’âge) et, en même temps, un spectacle insolite : Un esclave apporte un squelette d’argent, si bien ajusté que ses articulations et ses vertèbres se mouvaient avec souplesse dans tous les sens. Quand, deux ou trois fois, l’esclave, l’ayant mis sur la table, lui eut fait prendre diverses attitudes en agissant sur les ressorts, Trimalcion s’écria : Hélas, malheureux que nous sommes. Néant que toute cette chétive humanité ! Voilà comme nous serons tous, quand l’Orcus (divinité infernale assimilée à Pluton) nous réclamera. Vivons donc, tant que nous pouvons jouir encore de la vie ! (op. cit. chapitre XXXIV, trad. L. de Langle, Paris, 1923).
La portée de cette image de squelette est donc philosophique.
Elle rejoint l’injonction Carpe diem ! (Cueille le jour !) du poète latin Horace, à résonance épicurienne : il faut vivre l’instant présent, car le bonheur est éphémère et on ne sait pas de quoi demain sera fait — c’est ce que proclame Pétrone par les mots de Trimalcion.
Dans un autre domaine, moins frivole, il était d’usage à Rome qu’au moment de son triomphe, tout général vainqueur richement vêtu et couronné de lauriers, travers(e) la ville, monté sur un char attelé de quatre chevaux blancs, un esclave à ses côtés lui murmurant des phrases telles que “Rappelle-toi que tu es mortel” afin de conjurer les conséquences négatives qu’un tel succès pouvait entraîner, selon le Dictionnaire de l’Antiquité (p. 1019).
Cet avertissement qui se disait Memento mori ! (littéralement, Souviens-toi de mourir, c’est-à-dire Rappelle-toi que tu es mortel) évitait à l’être humain glorieux de se croire l’égal des dieux et, par contrecoup, d’être leur victime ! En effet, la mentalité héritée des Grecs était que toute démesure (ou hybris) recevait son châtiment.
Cette image de squelette est également métaphysique, de tradition chrétienne — d’ailleurs, l’inscription en italien indique que les aumônes déposées serviront à entretenir la lampe perpétuelle du cimetière, symbole de Vie.
La représentation du squelette, en effet, caractérise souvent les Vanités, peintures baroques qui illustrent la futilité des possessions terrestres et la fuite du temps (notamment avec des crânes et des personnages ailés). En tant qu’avertissement de type memento mori, elles invitent à mener une vie conforme à la morale chrétienne, pour se préparer à la mort et au Jugement Dernier.
Sur les tombes anciennes et actuelles du Canada il est presque toujours écrit : R.I.P. (Requiescat in pace ou Rest in peace). Cette inscription rappelle la pratique des Romains de l’Antiquité en ce qu’elle est un acronyme et une conjuration, mais elle s’adresse à la personne décédée, non pas aux vivants : elle n’est donc pas un memento mori.
Addendum :
Le groupe britannique de musique rock Depeche Mode sort un album intitulé Memento mori en mars 2023. Voici l’annonce qu’en fait La Presse au Canada :