Éternuement sur éternuement — c’est ainsi que j’ai commencé cet hiver un rhume qui a duré longtemps ! En même temps que j’éternuais, il m’est arrivé de penser que si, pour moi, c’était un symptôme de maladie peut-être inquiétant (grippe ? rhume ?), pour les Grecs et Romains de l’Antiquité c’était un présage (bon ou mauvais ?).
Guérie, j’ai fait quelques recherches, et, avec l’aide d’auteurs anciens et de l’excellent Livre des Superstitions, je vous propose quelques informations sur l’éternuement.
Étymologiquement, le verbe “éternuer” vient du latin, qui possède deux verbes pour décrire le phénomène : “sternuere“, éternuer, et “sternutare“, éternuer souvent — lequel a donné en français le mot “sternutatoire”, qui qualifie la “poudre sternutatoire”, dite plus familièrement “poudre à éternuer”.
Le Livre des Superstitions (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 671-675) indique que Les Anciens tenaient l’éternuement pour une manifestation divine, et lui vouaient un respect quasi religieux.

Le philosophe grec Aristote (IVè siècle avant notre ère) évoque d’ailleurs l’éternuement dans ses écrits : Pourquoi dit-on que l’éternuement est un dieu, tandis qu’on ne dit rien de pareil de la toux, ni du rhume de cerveau ? N’est-ce pas parce que l’éternuement se produit de la tête, qui, étant le siège de la raison, est ce qu’il y a de plus divin en nous ? Pourquoi l’expulsion des autres vents, comme le pet ou le rot, n’ont-ils rien de sacré, tandis que l’éternuement passe pour l’être ? N’est-ce pas parce que, des trois régions, la tête, le thorax, le ventre, c’est la tête qui est la plus divine ?
Le pet est le vent qui sort du bas des intestins ; et le rot vient du ventre d’en haut, tandis que l’éternuement vient de la tête. C’est parce que cette dernière région est la plus sacrée, que nous vénérons comme sacré le vent qui en sort (Les Problèmes, XXXIII).
Pour le médecin grec Hippocrate de Cos (qui vécut un peu avant Aristote), l’éternuement était une marque de bonne santé et il considérait notamment que la femme enceinte qui éternuait souvent était privilégiée !
Cette bonne santé faisait l’objet des vœux et salutations des personnes entourant la personne éternuant, à qui on disait des formules telles que : “À vos souhaits“, “Bonne santé“, “Que les dieux vous bénissent” — formulations très anciennes et qui demeurent en usage dans nos sociétés modernes comme des marques de politesse sans connotation sacrée.
On dit que l’origine des salutations viendrait de la légende de Prométhée, le Titan qui aurait créé les êtres humains à partir de l’argile. Lorsque Prométhée approcha le feu qu’il avait dérobé au ciel de la statue qu’il avait façonnée en terre cuite, le premier acte de l’homme, auquel il donna ainsi la vie, fut d’éternuer. Prométhée lui formula alors des souhaits (Superstitions, ibid.).
Par ailleurs, les anciens Grecs, qui soutenaient également que l’éternuement était la manifestation de leur génie familier, invoquaient Zeus après un éclat nasal. Les Romains ne se dispensaient jamais de salutations (Salve ! ou Ab Jove ! c’est-à-dire “par Jupiter“).
À ce propos, l’écrivain Pline l’Ancien s’exclame : Pourquoi salue-t-on ceux qui éternuent, ce que Tibère, qui était certainement le plus sombre des hommes, exigeait, dit-on, même en voiture ? (Histoire Naturelle, Tome II, ch. XVII, 46, traduction de l’édition d’Émile Littré, Paris, 1848-1850)
Le génie familier (du latin “genius“, le géniteur), selon la croyance romaine, c’était le génie tutélaire d’un homme, qui lui permettait d’engendrer des enfants. Son symbole était le serpent de la maison. La pratique d’esclaves vénérant le génie de leur maître conduisit, à l’époque impériale, au culte du génie de l’empereur (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 432).
D’autre part, on sait que dans certains pays l’éternuement est associé au diable, au Malin, qui profiterait du bref départ de l’âme pendant l’instant d’inconscience de la personne qui éternue pour prendre possession de celle-ci.
Quel que soit l’éternuement (menace de mort, départ ou entrée d’un esprit, etc.) il est accueilli dans le monde entier par des vœux de santé ou de prospérité, ou des salutations équivalentes à notre “Dieu vous bénisse !” À l’origine, la salutation avait valeur d’une conjuration magique destinée à écarter les dangers ou à s’emparer des puissances favorables dont l’éternuement était d’autres fois la manifestation.
Probablement héritage de l’aspect religieux ou sacré de cette manifestation physique, depuis l’Antiquité, l’éternuement passe quasi universellement pour être un présage.
Le poète Homère en fait un signe favorable dans l’Odyssée : Pénélope ayant entendu son fils Télémaque éternuer, se réjouit, et en fait le présage du retour d’Ulysse, qui, au même moment demandait à la voir sous l’apparence d’un vieux mendiant.
L’historien Plutarque rapporte qu’avant la bataille de Salamine (480 avant J.-C.), au moment où l’Athénien Thémistocle faisait un sacrifice sur son vaisseau, un des assistants ayant éternué à gauche, le grand prêtre en fit le présage de la victoire sur la flotte perse (Superstitions, ibid.).
Quant aux Romains, Pline l’Ancien relate quelques croyances, présentées comme des faits. Mais, foncièrement, il doute que cela ait pu être des présages : on va même jusqu’à tirer pronostic de circonstances insignifiantes, des éternuements, et des objets que heurte le pied, écrit-il. Il cite comme exemple : Le divin Auguste a rapporté que malheureusement il avait mis son soulier gauche le premier, le jour où il faillit périr dans une sédition militaire (Histoire naturelle, II, VII, 8).
Mais on sait que Les Romains se recouchaient s’ils avaient éternué en chaussant leurs sandales (Superstitions).
Pline mentionne un autre présage, qui concerne les repas : Après un éternuement on regarde comme un détestable présage de rapporter un plat si l’on ne mange pas après cela quelque chose, ou de cesser complètement de manger. Mais c’est en moraliste qu’il commente : Ces pratiques ont été établies par ceux qui croyaient les dieux présents dans toutes les affaires et à tous les instants, et qui par cette piété nous les ont laissés propices, malgré nos vices (H.N., II, XXVIII, 4-5).
Manifestation divine ou présage, pour les Anciens l’éternuement peut également être un remède. C’est encore Pline qui, en détaillant les remèdes que l’on tire des animaux et leurs effets les plus remarquables, mentionne deux animaux très utiles : l’éléphant et le castor.
Le sang de l’éléphant, surtout de l’éléphant mâle, arrête toutes les fluxions qu’on nomme rhumatismes. L’attouchement de la trompe calme la douleur de tête, surtout si l’animal éternue en même temps (H.N., II, XXIV, 1).
Quant au castor, il secrète une substance qui, selon Pline, provoque l’éternuement. Il explique que les testicules des castors portent le nom de castoréum. Mais il ne faut pas confondre les testicules avec deux vésicules qu’on ne voit chez aucun autre animal … vésicules qui produisent une liqueur, appelée aussi castoréum, ayant la consistance d’un miel mêlé de cire, une odeur forte, un goût amer et âcre (H.N., XXXII, 13, 3).
Pline ajoute que le castoréum le plus efficace vient du Pont (province romaine située au sud de la Mer Noire) — une véritable panacée, qui peut soigner les léthargies, les frénésies, les suffocations hystériques, l’aménorrhée, la constipation etc.
Vous qui lisez cet article, vous aurez constaté que je n’ai montré aucune statue ni mosaïque antique représentant une personne qui éternue. Instant fugace, il est vrai, difficile à fixer dans la pierre !
Pourtant, aux XXè et XXIè siècles, un autre rôle s’est ajouté à l’éternuement : celui d’agent du Comique. La Bande Dessinée, par des traits de crayon et des onomatopées écrites en majuscules et en gras, qui augmentent symboliquement le bruit et les effets dévastateurs de l’éternuement sur un personnage, permet de mettre en scène un gag efficace : la réaction d’un personnage porteur d’une allergie (anodine).
Voilà pourquoi j’ai intitulé mon texte “Éloge de l’éternuement” et mis en exergue Gaston Lagaffe. Des créateurs, comme Franquin, Hergé ou Claire Bretécher — liste non exhaustive, bien sûr — ont su tirer parti de ce gag.
Mais je ne saurais oublier mon préféré : le nain de Blanche-Neige auquel le dessin animé de Walt Disney prête des éternuements cataclysmiques : Atchoum !