Pendant l’été, je suis allée en Islande. Parti de Boston, États-Unis, notre bateau a fait plusieurs escales avant d’arriver dans les eaux islandaises. C’est ainsi que nous nous sommes arrêtés notamment au Canada (dans deux provinces) et au Groenland.
Sur ma route vers l’Islande, j’ai repéré, même dans les endroits les plus insolites, des traces inspirées de la civilisation gréco-romaine — que ce soit dans des inscriptions, des affiches ou des devises en latin, ou des monuments à l’architecture néo-classique etc.
Ce sont ces découvertes que je partage ici avec vous.
La première province du Canada où nous avons fait halte est la Nouvelle-Écosse — dont le nom anglais Nova Scotia vient d’ailleurs directement du latin.
À Sydney, ville importante de la province, j’ai visité l’église anglicane Saint-George, bâtie vers 1785 et “la plus ancienne église du Comté de Cap Breton”, selon le panneau apposé sur le mur d’entrée.
Sur les armoiries de l’église, on voit des symboles héraldiques britanniques (le cheval, la licorne) entourant un phénix qui renaît de ses cendres au-dessus de flammes. La devise latine est empruntée au poème IV des Epodes d’Horace : Fortuna non mutat genus, qui écrivait au 1er siècle avant notre ère. Au fil des années il y a eu plusieurs traductions officielles de ce vers : “Fortune ne change point la race”, “La fortune ne change point les mœurs” etc. C’est en ces termes que le poète romain vitupère contre Vedius Rufus, un affranchi (ancien esclave donc) qui mène grand train. Mais ses grands airs ne trompent point les “vrais” citoyens romains, car les origines d’un parvenu ne disparaissent jamais !
À environ une heure de Sydney, un car nous a menés jusqu’à Louisbourg. Cette cité-forteresse a été l’objet de nombreux combats et tractations entre la France et la Grande-Bretagne au cours du XVIIIè siècle. La France a commencé à la construire en 1722, l’a occupée jusqu’en 1745, et lui a donné le nom du roi régnant : Louis XV.
Au-dessus de l’arc de la porte royale, se trouve une inscription en latin : Ludovicus XV Franc. et Nav. Rex / Ludovico – Burgo fundato / operibusque validissimis munito / Primariam hanc Urbis portam / Extruit atque ornari jussit. / Anno MDCCXL — dont je propose la traduction suivante : “Louis XV, roi de France et de Navarre, une fois Louisbourg fondée et fortifiée grâce à des travaux très solides, a fait construire cette porte, au premier rang de la ville, et a ordonné de l’embellir, en 1740.”
En 1745, les Anglais s’emparèrent de la ville, qui redevint française en 1748. En 1750, le marquis de Chabert, astronome de renom, fut envoyé en mission par l’Académie royale des sciences de France pour calculer la longitude de Louisbourg. Ainsi Chabert fonda-t-il le 1er observatoire en Nouvelle-France (avec 8 télescopes), capable de fournir des données essentielles pour la navigation. Mais en 1758, Louisbourg, assiégée par les Anglais, capitula et devint britannique.
En route vers l’Islande, la deuxième province du Canada où nous avons fait halte est Terre-Neuve & Labrador.
À St-John’s, capitale de Terre-Neuve, j’ai vu un monument d’architecture à la grecque, en fait de style néo-classique, le Colonial Building, qui date de 1850.
Comme les monuments construits aux États-Unis entre 1825 et 1860 dans le style Greek Revival, les colonnes surmontées de chapiteaux ioniques et le fronton triangulaire de l’édifice de St John’s rappellent les temples de la Grèce antique.
Au Labrador, le phare joliment nommé Point Amour Lighthouse se trouve presque au bout du monde, en l’occurrence à des kilomètres du port de Red Bay ! Près de ce phare, en 1922, le H.M.S. Raleigh, navire de l’escadron de l’Amérique du Nord de la Royal Navy britannique, fit naufrage après avoir heurté un iceberg.
Après avoir, depuis le phare, marché un à deux kilomètres sur la Raleigh trail, nous avons pu voir l’épave du bateau, qui, finalement, a été complètement détruit en 1926. Près du site, un panneau porte les armoiries du navire et sa devise latine — écrite avec une faute d’orthographe — car il faudrait lire : Amore et virtute, By Love and labour (traduction anglaise), Avec amour et bravoure (le nom latin virtus ayant de nombreuses traductions en français).
Continuant notre route vers l’Islande, nous avons ensuite abordé au Sud du Groenland.
Dans la ville de Nanortalik, dont le nom signifie “Maison de l’ours polaire” en langue locale, j’ai trouvé un peu de latin !
Sur le quai du port il y avait un panneau avec une affiche qui nommait les différents animaux en groenlandais ainsi qu’en latin — ce qui est bien normal puisque c’est encore la langue scientifique de la zoologie. Et, en passant devant des entrepôts portuaires, j’ai vu un conteneur bleu sur lequel figuraient le nom de Cronos et le dessin d’un cheval marin à la queue de poisson. Étrange association, car Cronos est le nom latinisé (du grec Κρονος) du dieu Saturne ; et le cheval marin est un des attributs du dieu Neptune !
Puis, après quelques jours de grosse mer (l’Atlantique Nord !), nous sommes enfin arrivés dans les fjords islandais, franchissant le cercle arctique à deux reprises lors de notre périple autour du pays.
Au Nord-Ouest de l’Islande, la première escale était Isafjördur — une petite ville que nous avons parcourue à pied, alors que tout était fermé car c’était un jour férié ! Mais un des rares édifices accessibles à la visite était le musée. Ce musée expose des artefacts témoignant des activités des habitants autrefois : vieux matériel agricole, gréements de bateaux de pêche, maquettes, nourriture traditionnelle des marins etc.
J’ai eu l’œil attiré par la maquette d’un chalutier, nommé H. 226 Caesar, et une bouée portant le même nom ainsi que celui de la ville anglaise de Hull. Cependant, le destin de ce bateau n’a rien à voir avec celui de Jules César, sauf, peut-être, une fin tragique !
En effet, ce chalutier britannique s’échoua près d’Isafjördur le 21 avril 1971, déversant du mazout et provoquant une marée noire sur les plages. Malgré les efforts de plusieurs équipes de sauvetage, on ne put que le tracter vers le large et le faire sombrer (avec 160 tonnes de mazout encore à bord) le 1er juin 1971. La maquette du chalutier Caesar, réalisée par un artiste renommé en Islande, a été donnée au musée en 2023.
À l’Est de l’Islande, la deuxième escale était Seydisfjördur, mais nous avons quitté le port pour nous rendre en car dans l’intérieur des terres. Au Moyen-Âge, comme beaucoup de pays européens, l’Islande s’est dotée de nombreux monastères, couvents et cloîtres — et nous sommes allés voir l’emplacement et les ruines d’un cloître nommé Skriduklaustur.
Ce cloître, fondé en 1493, abritait des religieux qui suivaient la règle augustinienne. Dans le musée attenant au site, on peut lire de nombreux documents écrits en latin et en langue islandaise. Par exemple, sur l’horaire des offices, on reconnaît en haut du chiffre 12 le mot Sexta (la sixième heure du jour solaire) où l’on prend le prandium, c’est-à-dire le déjeuner.
L’endroit servait principalement d’hôpital et hébergeait les pauvres et nécessiteux, qui y recevaient des soins de la part des moniales. Du cloître, aujourd’hui, il ne reste que des traces sur le sol dehors et des objets cultuels dans le musée, car les constructions faites en turf (tourbe et mottes de gazon) n’ont pas résisté au temps. Mais l’atmosphère y est paisible et propice au recueillement. J’ai beaucoup aimé cette visite.
Lors de notre dernière étape en Islande, nous avons navigué jusqu’à l’Ouest, pour nous arrêter à Grundarfjördur. À quelques encablures de ce petit port se trouve l’île de Melrakkaey, où un bateau d’observation nous a emmenés voir les oiseaux, en particulier les jeunes puffins (macareux), nichant dans les falaises rocheuses.
C’est pourquoi, il n’est pas étonnant de voir sur le quai de l’embarcadère ces cartes zoologiques bilingues (islandais/latin) d’animaux marins et d’oiseaux gravitant autour de Grundarfjördur.
Ensuite, nous sommes revenus à Boston.
Avec toutes ces découvertes, en somme j’ai presque vécu — mais en bateau — des “vacances romaines”, pour plagier le titre d’un vieux film (1953) mettant en vedette Gregory Peck et Audrey Hepburn … circulant sur une Vespa !
Intéressant, ce choix de traduction en anglais pour “Amore et virtute” (“By love and labor”) !
Virtus (vir + tus) est littéralement “la qualité ou l’apanage de l’homme libre” (et “viril”). Pour les Romains, peuple guerrier, c’était “le courage, la bravoure” – et non pas le travail (‘labour’, en anglais) ! Mais la traduction s’explique peut-être parce que “virtus” est positif, comme l’est devenue la notion de “travail” (?).