J’ai passé quelques jours en août à Samarcande. Quel voyage !
Depuis que j’ai eu l’occasion d’écrire un paragraphe dans un article sur Tachkent en collaboration avec Anne-Charlotte, je rêvais d’aller en Ouzbékistan ! D’ailleurs, grâce à son blog, et notamment son article sur Samarcande, j’avais déjà quelques informations et impressions sur cette magnifique cité.
Je savais qu’il serait très difficile d’y retrouver des traces de l’Antiquité gréco-romaine, même si la ville a une longue Histoire — ayant été fondée vers 700 avant notre ère — et que le site archéologique est vaste.
Car ce qui a fait la renommée mondiale de Samarcande — dans l’Antiquité déjà, carrefour de commerce entre la Chine et Rome sur la Route de la Soie — c’est plutôt la splendeur des monuments érigés aux XIVè et XVè siècles.
Cependant, lors de sa conquête progressive de l’Asie, Alexandre III de Macédoine, dit Alexandre le Grand, y séjourna avec son armée, en 328 avant notre ère. La ville était alors appelée Maracanda (en latin).
Je suis allée visiter le Musée Historique de Samarcande, qui ne possède que peu de documents témoignant du passage d’Alexandre.
Mais il y a une salle consacrée à l’époque d’Alexandre le Grand et où figure une carte de son empire. La toponymie est en ouzbek : on reconnaît à la frontière Est les noms de “Maroqanda” (alias Maracanda), et de “Alexandriya Esxata” à la frontière extrême-orientale de l’Empire perse, Alexandrie Eschaté, “la plus lointaine” des villes éponymes fondées par Alexandre (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 34).
Après avoir successivement conquis, entre 334 et 328, la Grèce, l’Asie Mineure, l’Égypte, et presque tout l’Empire perse, Alexandre, roi macédonien qui aspirait à se comporter comme un héros homérique et vouait une admiration sans bornes à Achille, poursuivit ses campagnes militaires jusqu’aux confins de l’Iran, assujettissant les vastes étendues de l’Hyrcanie, l’Asie, la Drangiane, la Bactriane et la Sogdiane (Dictionnaire de l’Antiquité, p. 33).
Toutes deux conquises par les Perses avant de l’être par Alexandre, la Bactriane correspondait au Nord de l’actuel Afghanistan, tandis que la Sogdiane était la région dont Maracanda était la ville principale.
De ces régions, qui furent ensuite tour à tour dominées par les Parthes, les Arabes, puis les Turcs, il reste le nom de “Sogdiana”. Je l’ai vu comme enseigne d’un stand de crèmes glacées situé près du Régistan à Samarcande ! Et lors d’une visite au Musée Belz de Memphis (Tennessee, États-Unis), j’avais admiré la statuette d’un Chamelier sogdien — statuette chinoise datant de la Dynastie Qing (1644-1911) symbolisant l’importance du commerce de la Route de la Soie pour les Chinois et de l’immigration des Sogdiens en Chine (d’après la notice du musée Belz).
Au Musée Historique de Samarcande, en face de la carte représentant l’étendue de ses conquêtes se trouvent diverses illustrations d’Alexandre, de son entourage et de ses batailles.
À gauche, le portrait d’Alexandre est la copie d’une mosaïque romaine de Pompéi (exposée au Musée archéologique de Naples) mettant en scène Alexandre et son inséparable cheval Bucéphale lors de la bataille d’Issos contre les Perses. Bucéphale, dont le nom signifie en grec “tête de bœuf”, a une oreille en forme de corne !
Au bout à droite se trouvent des médailles à l’effigie d’Alexandre et de son père, le roi Philippe II de Macédoine. Ce sont probablement des pièces de monnaie — comme celles que l’on trouve sur une tabatière en écaille et or de Napoléon visible au Musée national du Château de Fontainebleau :
Chose insolite — j’ai aussi vu à New York, dans le quartier de Wall Street, un immeuble de style néo-grec arborant trois médaillons similaires à ceux du musée de Samarcande et montrant, de gauche à droite, Philippe, Alexandre et Bucéphale ! La présence du cheval dénote l’importance de la monture qui accompagnait Alexandre depuis son enfance et qui participa à toutes les batailles en Asie, avant de mourir en 326.
Dans le musée, les artefacts exposés près des gravures sont postérieurs au passage d’Alexandre. On voit principalement des instruments de cuisine et des accessoires de construction, en particulier des poids permettant aux bâtisseurs d’avoir des fils à plomb.
Mais, pour en revenir à Alexandre — et son lien avec Samarcande — en 328 son armée et lui prenaient un peu de repos à Maracanda, quand eut lieu un événement tragique.
Les récits concernant Alexandre s’apparentent à des légendes car son histoire nous est parvenue déformée par les interprétations philosophiques et rhétoriques (Dictionnaire des Personnages, coll. Bouquins, p. 43). C’est ainsi que l’écrivain romain Quinte-Curce (1er siècle de notre ère) écrit une Histoire d’Alexandre le Grand en dix livres, où il se montre souvent réprobateur de la conduite du conquérant.
Au Livre VIII, il raconte qu’Alexandre donna le commandement de la Sogdiane à Clitus. Celui-ci, lors d’une bataille, lui avait sauvé la vie. Clitus était un vétéran de Philippe, qui s’était illustré par de nombreux faits d’armes. Sa sœur Hellenice avait été la nourrice d’Alexandre, qui l’aimait comme une mère. C’était pour ces motifs que le roi confiait à son dévouement et à sa garde la plus puissante province de l’empire.
Clitus fut invité à venir de bonne heure à un festin solennel. Dans ce repas, le roi s’étant laissé échauffer par le vin, commença à glorifier ses hauts faits, avec une vanité sans mesure. Alexandre en vint à critiquer Philippe, son père — ce qui provoqua la colère de Clitus et des vétérans. Clitus, sous l’influence du vin lui aussi, haussant graduellement la voix, se mit à rappeler les exploits de Philippe, et les guerres qu’il avait faites en Grèce, mettant tout ce passé au-dessus du présent. Cela donna lieu à une vive discussion entre les jeunes et les vieux. La fureur s’empara d’Alexandre, qui saisit la javeline d’un garde et voulut frapper Clitus, tandis que ses compagnons cherchaient à le calmer. Mais il était sourd : la fureur l’empêchait d’entendre …
À la fin de la soirée, Alexandre se plaça sur le seuil de la tente ; les convives sortaient, Clitus, le dernier. Alexandre lui plongea sa lance dans le flanc … La mort de Clitus dégrisa Alexandre, qui comprit, mais trop tard, l’énormité de son crime. Il manifesta son affliction à grand bruit, et ses compagnons craignirent pour sa vie, car il refusait toute nourriture. Finalement, après dix jours passés à Maracanda, surtout pour ramener le courage dans son cœur en proie à la honte, Alexandre reprit son commandement (traduction en italiques de V. Crépin, éd. Garnier, Paris).
Et Quinte-Curce de conclure, en moraliste, non en historien : C’est un malheureux défaut de la nature humaine de réfléchir le plus souvent quand les choses sont faites, et non avant d’agir (ibidem).
Comme les héros littéraires ou mythologiques de l’Antiquité grecque, le “bouillant” Achille ou Hercule, Alexandre avait une “face sombre”.
Mais — en contraste avec cette tragédie — eut lieu aussi en 328 en Sogdiane un événement heureux ! Alexandre s’éprit au premier regard de Roxane, fille du satrape de Sogdiane, et l’épousa le jour même de leur rencontre ! Très belle, elle était surnommée “La Perle de l’Orient”.
Personnalité exceptionnelle — Alexandre le Grand a inspiré de nombreux auteurs de fiction, notamment des poètes épiques. Au XIIIè siècle parut Le Roman d’Alexandre, par Lambert le Court et Alexandre de Paris. Bien qu’il décrive les amours tumultueuses du héros à la conquête de Roxane, il figurera parmi les textes historiques dans les catalogues médiévaux … en tant que source de la connaissance du monde, de l’enseignement de la physique et des sciences naturelles (Personnages, p. 45).
Et comme cet ouvrage est écrit en vers de douze syllabes, cette sorte de vers prit le nom d'”alexandrin” !
À Samarcande sont reliées beaucoup de légendes et d’Histoire …