Étant à Vienne pour très peu de temps, je voulais absolument goûter la Sachertorte, une pâtisserie très renommée. Mais la file d’attente devant le Café Sacher m’a découragée !
Je sais, on ne va pas dans cette magnifique ville historique, inscrite au patrimoine de l’UNESCO, seulement pour goûter ses spécialités culinaires — encore qu’elle ait inventé le “croissant” en 1689 pour fêter la victoire des Autrichiens sur les Turcs (dont l’emblème était un croissant de lune) !
Vienne offre bien plus au visiteur : une riche vie culturelle — notamment musicale — ainsi que de superbes parcs et des monuments impressionnants. J’ai fait mes délices de voir quelques-uns de ceux qui rappellent l’Antiquité. La présence de monuments ou symboles gréco-romains n’y est pas étonnante, car Vienne fut longtemps la capitale du Saint-Empire romain germanique et elle s’est inspirée de l’Antiquité : architecture à la grecque du Parlement autrichien, ruines romaines, représentation de personnages réels et mythologiques grecs ou romains, inscriptions latines etc.
Ma visite de Vienne fut donc une promenade à travers le temps.
L’appellation “Vienne” est un hydronyme ; ce nom provient, en effet, de la Vienne, un cours d’eau qui traverse la ville — également traversée par le Danube.
À cause de sa position aux frontières de l’Empire romain, l’endroit devint au 1er siècle de notre ère une forteresse romaine et fut connu sous le nom, peut-être celtique, de Vindobona.
“Forteresse” impliquant remparts, plusieurs fortifications successives ont entouré la ville. La dernière enceinte, une fois détruite, fut remplacée par une sorte de “boulevard périphérique” appelé Karl Renner Ring (anneau de Karl Renner) — ou tout simplement Ring — par lequel je suis arrivée en autobus.
Derrière les vitres du bus, j’ai vu les bâtiments du Parlement, un peu vite, mais quelle surprise !
Son architecture rappelle les antiques monuments de l’Acropole d’Athènes. En effet, à quelques différences près, l’entrée du Parlement autrichien ressemble beaucoup au Parthénon grec, et la grande statue à une de celles de la déesse Athéna.
Temple d’Athéna Parthénos (“temple de la vierge”), construit sous l’administration de Périclès, le Parthénon fut commencé en 447 av. J.-C., et consacré, avec la statue de culte d’Athéna, en 438. L’architecte était Ictinos, assisté par Callicratès, et le travail fut supervisé par Phidias (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 724).
Sur le toit de l’édifice autrichien, on remarque des acrotères figurant des griffons. Le griffon était un oiseau fabuleux à bec et aile d’aigle, au corps de lion. Chez les Grecs, les griffons sont assimilés aux monstres gardiens de trésor. Ils symbolisent la force et la vigilance, mais aussi l’obstacle à franchir pour arriver au trésor (Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, p. 486-487).
Quant à la représentation d’Athéna, dont les reconstitutions dessinées proviennent de l’album Athènes de Jacques Martin (éd. Casterman, 2001), elle avait été sculptée par Phidias, au moins sous la forme de deux statues. L’une, Athéna Promachos (qui combat en avant), était placée sur l’Acropole ; l’autre, l’Athéna chryséléphantine (en or et en ivoire), déposée dans le Parthénon, où elle recevait un culte fervent en tant que protectrice d’Athènes.
Les Viennois semblent avoir fait là une synthèse intéressante : les griffons protègent un trésor (le Parlement), et Athéna, qui tient une petite Victoire (Nikê, en grec), symbolise la Vertu militaire et la Sagesse — qualités utiles pour une ville historiquement combative !
Ça commençait bien ! Descendue du bus, j’ai ensuite arpenté le centre-ville à pied. Le cœur de Vienne possède plusieurs rues piétonnes, et le nombre de monuments au kilomètre carré est impressionnant.
Sur la Michaelerplatz se trouvent les ruines romaines excavées en 1990-91.
Deux petites pancartes en métal portent des inscriptions en allemand et en anglais. Sur l’une, on distingue les mots Kanal (19 JH) – Drainage system (canalisation du XIXè siècle). Il s’agit d’une infrastructure moderne. Sur l’autre, les mots Römisches Haus mit Wandmalereien und Fussbodenheizung (2-4 JH) signifient que ce sont les restes d’une maison romaine, datant du IIè au IVè siècle, qui possédait des peintures murales et un système de chauffage par le sol, en-dessous du plancher, appelé hypocauste.
Les ruines étaient enfouies sous des constructions bâties depuis le IIè siècle. Actuellement, ces quelques vestiges sont protégés par un muret et une rambarde. La place où ils sont situés est entourée de bâtiments “modernes”, en particulier l’immense palais Hofburg, aux nombreuses dépendances, ancienne résidence d’hiver des Habsbourg d’Autriche.
Au-dessus du portail du palais impérial, un cartouche contient une inscription en latin.
Selon ce que j’ai pu lire (Franciscus Josephus I … perfecit A.D. MDCCCXCIII), c’est sous l’empereur François-Joseph 1er que s’est achevée la construction de ce palais, en 1893. D’autre part, les sculptures entourant ou surmontant le portail rappellent le monde antique, notamment les armoiries arborant l’aigle à deux têtes (l’aigle figurait sur les enseignes de la légion romaine).
En entrant par une galerie couverte dans ce corps de bâtiments impériaux, j’ai vu une statue représentant l’arrivée d’Auguste (Adventus Augusti) :
Comme le nom Kaiser (nom allemand de l’empereur) vient du latin Caesar — surnom qui, sous l’empire romain, fut donné en titre à Auguste et aux empereurs successifs — il n’est pas surprenant de voir des statues d’Auguste dans le palais du Kaiser viennois.
Dans une cour pavée, dont un mur affiche un cadran solaire en chiffres romains, on trouve celle-ci :
Sur le socle orné d’une frise de méandres à la grecque, l’inscription latine (Amorem meum populis meis) pérennise la relation d’amour du souverain pour ses sujets, qui étaient alors diverses populations d’Autriche, de Hongrie et d’autres pays sur lesquels régnait l’empereur établi à Vienne.
Toujours dans le corps des bâtiments impériaux, voici la Bibliothèque Nationale sur la Josefplatz, prestigieux immeuble orné d’éléments empruntés à l’architecture antique et de deux inscriptions en latin (à la gloire de divers empereurs et de la bibliothèque) :
Sur les toits on remarque un char de victoire, Atlas portant la Terre (dorée), l’aigle bicéphale entourée d’Apollon (tenant une lyre) et de la Renommée (avec sa trompette), tandis qu’autour de la porte des caryatides semblent soutenir un fronton.
Sur la place elle-même il y avait deux camionnettes apportant de grosses meules de foin. Spectacle un peu surprenant — moins quand on sait que les écuries de la fameuse École espagnole d’équitation (die Spanische Hofreitschule), fondée en 1565, sont tout près de la Josefplatz.
Bien sûr, ce fut la visite suivante et, bien sûr, j’ai été ravie de voir les chevaux Lipizzan dans leurs stalles autour d’une grande cour intérieure que survole symboliquement un blanc Pégase !
C’est, m’a-t-on dit, pour conserver la blancheur des robes de ces chevaux que le foin de leur litière est changé toutes les heures !
Ensuite, je suis allée me promener dans un parc voisin du palais et j’ai encore vu un immense bâtiment porteur d’allégories antiques et d’une inscription en latin : His aedibus adhaeret concors populorum amor (À cette demeure est attaché l’amour qui unit les cœurs des peuples). Comme sur le socle de la statue d’Auguste, l’amour du souverain pour ses sujets est gravé dans la pierre !
Dans ce parc il y avait une terrasse avec des parasols affichant le logo et le nom de l’eau minérale Römerquelle, littéralement “la source de Rome” !
Une bonne rasade d’eau fraîche, et me voilà repartie en direction de la cathédrale Saint Étienne (Stefandom) — joyau architectural de Vienne, dont le toit de tuiles colorées resplendit.
Mais, juste à côté de la cathédrale, mon regard a été attiré par la façade d’un édifice dont le nom Zum goldenen Becher (Au gobelet d’argent) pourrait être celui d’une ancienne taverne ou d’un joaillier (?)
On y voit deux vers en allemand : Das neue Haus mit altem Schild / Preist unsere Stadt in Wort und Bild (La nouvelle maison avec son ancienne enseigne célèbre notre ville en parole et image). Et parmi les images, la muse de l’Histoire (Geschichte, en allemand, Clio pour les Gréco-romains) côtoie l’empereur romain Marc-Aurèle, dont l’effigie surmonte un faisceau d’armes et l’acronyme SPQR.
Non loin de la place de la cathédrale, où il y avait foule, je suis tombée par hasard sur la statue de celui à qui l’Histoire et autres sciences modernes doivent beaucoup : Gutenberg, l’imprimeur allemand qui, au XVIè siècle, inventa la presse à imprimer, les caractères métalliques et une encre permettant d’imprimer les deux faces du papier.
Pourquoi Gutenberg de Mayence est-il représenté à Vienne ? Je ne sais pas, mais je sais que la devise latine écrite sur le socle de la statue Post nubila Phœbus (littéralement, “Après les nuages, Phébus”) symbolise la Connaissance. En effet, Phébus (en grec, Phoibos, le brillant) est l’épithète homérique du dieu Apollon, souvent assimilé à Hélios, le Soleil. D’ailleurs, le soleil rayonne sur la partie droite (progressive) du socle. “Les nuages” obscurcissent et accablent, tandis que “Phébus” éclaire et réchauffe — c’est, symboliquement, le passage de l’obscurité de l’ignorance à la lumière de la connaissance. Grâce à l’imprimerie, la Connaissance rayonne. Merci, Gutenberg !
Finalement, cette journée fut bien remplie.
Mais je reviendrai à Vienne : il me reste tant de choses à y voir (musées passionnants, concours équestres, chorégraphies de valses), à y entendre (concerts et musiciens prestigieux), à y vivre ! Et je voudrais aussi goûter enfin la Sachertorte !