En Amérique du Nord, on peut dire que “l’écureuil court les rues”. Je me rappelle ma surprise, la première fois que je suis allée à New York, d’avoir vu un écureuil traverser une grande avenue en esquivant les voitures. Je me trouvais près de Central Park, il est vrai, mais tout de même !
À cet étonnement, on voyait la touriste !
Mais il paraît que les écureuils — qui aiment se courir les uns après les autres pour s’amuser ou marquer leur territoire — font désormais partie des “choses” interdites dans les jardins de la Maison-Blanche, à Washington.
Maintenant que j’habite au Canada, les écureuils me sont plus familiers. Toute l’année, j’en vois circuler dans le jardin et s’approcher de la baie vitrée de la maison. Car l’écureuil est un animal curieux.
Le nom de l’écureuil vient du grec ancien Σκίουρος, formé de σκιά (“skia”, l’ombre), et de οὐρά (“oura”, la queue). Le dictionnaire de grec-français d’E. Pessonneaux (Librairie classique Eugène Belin, 1959) définit Σκίουρος comme : Écureuil, animal qui se fait de l’ombre avec sa queue.
Cette définition ne convainc pas tous les linguistes.
Dans son livre co-écrit avec Pierre Avenas, Henriette Walter remarque que l’explication a un petit air d’étymologie populaire : un peu trop beau pour être vrai. Et pourtant, cette explication simple est généralement acceptée. Buffon abonde d’ailleurs dans ce sens en décrivant l’écureuil : ‘sa jolie figure est encore rehaussée, parée par une belle queue en forme de panache, qu’il relève jusque dessus sa tête et sous laquelle il se met à l’ombre’ (L’étonnante histoire des noms des mammifères, Robert Laffont éditeur, 2003).
Et cette description semble corroborée par Le Livre des Superstitions qui indique que L’écureuil, qui à l’origine portait sur son arrière-train une queue petite et fine, fut si choqué du spectacle d’Adam et Ève se partageant le fruit défendu, qu’il chercha, en vain, à se voiler la face avec cet attribut. C’est alors qu’il fut doté d’une plus grande queue, expliquée également comme un don de Dieu ‘pour qu’il puisse s’en servir comme d’un parapluie’ (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 632, 1995).
Illustre prédécesseur de Buffon, le naturaliste romain Pline l’Ancien, au Ier siècle de notre ère, témoigne aussi de l’importance accordée à la queue en panache de l’écureuil, quand il observe que : Les écureuils prévoient la tempête, et, fermant leur bauge du côté où le vent doit souffler, ils en ouvrent la porte du côté opposé : au surplus, leur queue, garnie de plus de poils que le reste du corps, leur sert d’abri (Histoire Naturelle, Livre VIII, 58 ; traduction d’Émile Littré, Paris, 1848-50).
Pline utilise le mot latin sciurus (directement issu du grec Σκίουρος) pour désigner l’écureuil. Plus tard, écrit Henriette Walter, En bas-latin apparaît un diminutif en -iolus, attesté sous la forme scuriolus — littéralement, “petit écureuil” — qui est à la base de la plupart des noms de l’écureuil dans les langues romanes (op. cit.).
En effet, “écureuil” en français, se dit squirrel en anglais, scoiattolo en italien, esquilo en portugais.
En wallon, les formes skiron et spirou désignent aussi l’écureuil — ajoute Henriette Walter. Si cette langue méritait d’être particulièrement mise en lumière, dans ce cas, c’est parce que ‘spirou’, qui, en wallon, désigne aussi ‘un enfant vif et remuant’, a été choisi comme nom d’un célèbre personnage de BD créé en 1938 par le dessinateur belge Robert Velter. L’année suivante, Spirou était accompagné d’un petit écureuil, nommé Spip (ibid.).
Les héros de BD ont souvent des amis animaux (Tintin avec son chien Milou, Obélix avec Idéfix, Lucky Luke et son cheval Jolly Jumper etc.) qui partagent leurs aventures. Ces animaux parlent (ou pensent) et leurs commentaires apparaissent en contrepoint — ce qui crée un effet de distance comique avec le personnage “humain” : il semble ainsi moins raisonnable que sa mascotte. Tel est l’écureuil Spip, alter ego de Spirou, dont les commentaires sur son maître vif et remuant apportent une sagesse pleine d’humour.
Pourtant, la tradition populaire n’a pas toujours apprécié l’écureuil. Au Moyen Âge, l’écureuil avait mauvaise réputation, comme tous les rongeurs, qui étaient alors plus ou moins méprisés parce que l’action de ronger était assimilée à la sournoiserie, à la lâcheté … L’écureuil était alors considéré comme paresseux, voleur, voire lubrique, mentionne Henriette Walter.
En France, l’écureuil est de très mauvais augure si, depuis un arbre, il saute aux pieds d’une personne. Chez les Anglo-Saxons, où l’abondance d’écureuils est signe de guerre, ceux qui, en partant de chez eux ou au cours d’un voyage, en voient un de couleur grise traverser la route, doivent rentrer immédiatement sinon un malheur surviendra (Superstitions, p. 631).
Mais la perception moderne que l’on a de ce petit animal est à l’opposé de ces croyances passées.
C’est particulièrement vrai pour sa réputation positive de prévoyance, héritée, sans doute, des observations de Pline qui écrit au sujet des écureuils qu’ils font des provisions pour l’hiver (op. cit.). Pour les Français actuels, “l’écureuil” évoque immanquablement “la Caisse d’Épargne”.
Comment en est-on arrivé à ce retournement de situation ?
En 1942, en réponse à un concours lancé par la Caisse d’Épargne pour définir son image de marque, c’est l’histoire suivante qui a été primée : des prisonniers de guerre, totalement privés de nourriture, après avoir adopté un écureuil, s’étaient finalement résignés à contrecœur à manger leur mascotte. Mais l’écureuil, flairant le danger, s’était sauvé jusqu’à une cachette où les soldats affamés qui l’avaient poursuivi avaient pu trouver de quoi survivre grâce aux provisions accumulées par l’écureuil prévoyant. Son sens de l’économie lui avait sauvé la vie, et, depuis ce jour le symbole de l’épargne était trouvé : c’est un écureuil qui figure désormais sur le logo de la Caisse d’Épargne (L’étonnante histoire des noms des mammifères, logo encadré p. 309).
Aussi prévoyant est le tamia — que les Canadiens francophones appellent “(petit) suisse” à cause de ses rayures qui font penser au costume des Suisses de la Garde pontificale au Vatican. Il n’a pas le panache de l’écureuil classique et ne grimpe pas aux arbres, mais, malgré sa minuscule taille, il court à toute vitesse, accumule des provisions dans les coins de sa bouche, et a une audace incroyable.
En voici un qui n’a pas eu peur de moi, alors que j’étais sur la terrasse dans une chaise-longue à rêvasser !