Tigre et autres félins dans l’Antiquité

L’année du Tigre, dans le zodiaque chinois, a commencé le 1er février 2022 et se terminera le 31 janvier 2023. Bien que cela soit intéressant, je ne m’attarderai pas ici sur son symbolisme zodiacal. J’ai plutôt cherché à savoir comment le tigre et d’autres grands félins étaient considérés dans l’Antiquité gréco-romaine. 

Le lion et même le chat ayant fait l’objet d’articles précédents, celui-ci sera consacré au tigre et à la panthère.

Le nom du “tigre” vient du latin tigris, qui lui-même vient du grec τιγρις — mot d’origine iranienne, selon le Dictionnaire Robert, lequel définit l’animal comme étant le plus grand des félins, au pelage roux rayé de bandes noires transversales, vivant en Sibérie et en Asie du Sud-Est

Sur cette poterie grecque de l’époque dite “orientalisante” (VIIIè siècle avant notre ère) exposée à la National Gallery of Victoria à Melbourne (Australie), on distingue deux animaux qui s’affrontent : une sorte d’antilope cornue (un impala ?) et un tigre (ou une tigresse), reconnaissable à ses rayures. 

Tigre-Poterie-Melbourne

Pot-Tigre-Melbourne

Ce magnifique pelage a valu au tigre d’être chassé par l’homme, pour ne devenir qu’un trophée ou même une simple descente de lit (une “peau de tigre”). Déjà au 1er siècle de notre ère, le naturaliste romain Pline l’Ancien écrivait que La panthère et le tigre sont presque les seuls animaux remarquables par leur robe bigarrée (Histoire Naturelle, Livre 8, XXIII, 1, traduction d’Émile Littré, Paris, 1848-50).

Le tigre, la panthère et autres animaux exotiques, comme le léopard, étaient donc un gibier d’autant plus prisé qu’il était difficile à capturer.

Tigre, léopard, panthère
Léopard, mosaïque byzantine (VIè siècle), Art Institute Museum, Chicago

Pline fait mention d’une partie de chasse bien spéciale : L’Hyrcanie et l’Inde produisent le tigre, animal d’une rapidité redoutable : on en fait surtout l’épreuve quand on lui enlève tous ses petits, qui sont toujours nombreux ; le chasseur qui les emporte est monté sur un cheval très vite, et il en change de temps en temps. Dès que la tigresse trouve la bauge vide (les mâles ne s’occupent pas de leur progéniture), elle se précipite sur les pas du ravisseur, qu’elle suit à la piste : celui-ci, dès qu’il entend le rugissement approcher, jette un des petits ; la tigresse le prend dans sa gueule, et sous ce poids, marchant avec encore plus de rapidité, elle revole à sa bauge ; puis elle se remet à la poursuite, et ainsi de suite, jusqu’à ce que, le chasseur étant rentré dans le vaisseau qui l’avait apporté, la fureur de l’animal s’épuise vainement sur le rivage (Ibid. XXV,1).

De nos jours encore, on appelle “tigresse” une femme très agressive, à l’image de la tigresse qui défend ses petits.

Le tigre évoque, d’une manière générale, les idées de puissance et de férocité. C’est un animal chasseur, et en cela un symbole de la caste guerrière … Les Cinq Tigres, symbole de force protectrice, sont les gardiens des quatre points cardinaux et du centre. On donne d’ailleurs, dans l’histoire et la légende chinoises, l’appellation de Cinq Tigres (Wou ho) à des groupes de guerriers valeureux, protecteurs de l’Empire (Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 949).

Tandis qu’un “tigre de papier” est, en Chine, un adversaire arrogant, mais inoffensif.

Par ailleurs, les fauves, capturés et importés dans la Rome de l’Antiquité, figuraient aussi comme “acteurs” dans les spectacles de l’arène — ces venationes où s’illustraient les bestiarii, des gladiateurs combattant contre les bêtes féroces.

Les venationes (“chasses”), combats de cirque, à Rome, d’animaux entre eux ou d’animaux contre des hommes, furent introduits en 186 av. J.-C. Ces combats, qui s’intégrèrent aux différents jeux publics, se multiplièrent au 1er siècle. Les spectateurs romains devinrent plus sanguinaires sous l’Empire …

(Par exemple) 3 500 éléphants furent mis à mort durant les jeux du cirque ; 5 000 animaux sauvages et 4 000 animaux domestiques périrent lors de l’inauguration du Colisée, indique le Dictionnaire de l’Antiquité (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 1037).

Cependant, ces massacres gigantesques provoquaient aussi un sentiment de dégoût chez le grand public, auquel on offrit aussi des scènes plus paisibles. Pline indique que l’empereur Auguste fut le premier qui … montra à Rome, sur le théâtre, un tigre apprivoisé. Le divin (empereur) Claude en montra quatre à la fois (Ibid.).

Ces anecdotes révèlent un fait inédit : le tigre peut être apprivoisé par l’homme …

… ou par une nymphe !

Une légende grecque, rapportée par Plutarque, explique pourquoi le nom de Tigre fut donné à un fleuve de Mésopotamie, qui s’appelait auparavant Sollax. Pour séduire une nymphe d’Asie, Alphésibée, dont il était amoureux, Dionysos se transforma en tigre. Arrivée au bord du fleuve, elle ne put s’enfuir au-delà et se laissa saisir par le fauve, qui l’aida à passer sur l’autre rive. Leur fils, Médès, fut le héros éponyme des Mèdes et le fleuve prit le nom de Tigre, en souvenir de la nymphe et du dieu qui s’étaient unis sur ses berges (Symboles, p. 950). 

Lionnes ou panthères, Glyptotek, Copenhague

La panthère aussi peut être “apprivoisée” par l’homme. Pline raconte une histoire vraie, mais devenue un apologue (car ce récit a une morale), mettant en scène une panthère (panthera, en latin) et un Grec.

L’animal était couché au milieu d’un chemin, dans le désir de rencontrer un homme. Le père d’un certain philosophe Philinus l’aperçut à l’improviste. La peur le prend, il se met à reculer : mais la panthère se roule autour de lui ; évidemment elle le caressait, et elle était en proie à un chagrin que l’on pouvait reconnaître même dans une panthère : elle avait des petits, lesquels étaient tombés loin de là dans une fosse. La crainte de l’homme se calma, ce fut le premier degré de la compassion ; il voulut lui donner des soins, ce fut le second. Il la suivit là où elle l’entraînait, en tirant légèrement ses vêtements avec les griffes : dès qu’il comprit la cause de sa douleur, il retira de la fosse les petits, ce qui était en même temps sa propre rançon. La panthère le suivit avec eux, et le reconduisit au-delà du désert, pleine de joie et d’allégresse ; et l’on voyait facilement qu’elle témoignait sa reconnaissance sans mettre en compte son propre bienfait ; ce qui est rare, même chez l’homme (Ibid. XXI, 6).

Mais c’est surtout comme acolyte du dieu Dionysos que la panthère était connue, dans l’Antiquité gréco-romaine.

Dans la mythologie grecque, Dionysos était le fils de Zeus (Jupiter, en latin) et de Sémélé, une mortelle. Quand celle-ci fut enceinte, la déesse Héra (Junon), l’épouse du dieu, jalouse, se déguisa en mortelle et persuada sa rivale de demander à Zeus de venir la voir dans toute sa gloire divine. Zeus accéda à la demande de Sémélé, qui périt foudroyée. Mais Zeus sauva l’enfant qu’elle portait et le plaça dans sa cuisse, d’où il vint au monde (“sorti de la cuisse de Jupiter”) … Pour l’éloigner de la vengeance de Héra, le bébé fut confié aux nymphes du mont Nysa (que l’on situe en plusieurs endroits), d’où il tire son nom et où il reçut un culte et introduisit la culture de la vigne (Antiquité, p. 320).

Les Romains l’honoraient sous le nom de Bacchus, dieu du vin et de la fertilité. Son culte est associé à des rituels sauvages, sensuels et débridés, où sexe et ivresse tiennent une large place. Le dieu, souvent représenté comme un jeune homme beau et efféminé, est accompagné d’un cortège de panthères, de Satyres, de Bacchantes ou Ménades — femmes plongées dans l’extase par le dieu — vêtues de peaux de faons ou de panthères, avec des couronnes de lierre ou de sapin (Antiquité, ibid.). 

Au Musée des Beaux Arts d’Ottawa, on peut voir une frise en terre cuite, datant de 1790, de Joseph-Charles Marin (d’après Clodion) : les bacchanales ou fêtes célébrées en l’honneur de Bacchus — représenté ici dans un char tiré par des panthères — étaient l’occasion de banquets orgiaques (notice du musée).

D’après ces mythes et histoires de l’Antiquité, si tous deux sont des fauves dangereux, le tigre fait peur par sa force, mais la panthère est associée à l’exultation de l’ivresse.

Quels sont donc les pouvoirs, les vertus et les aspects positifs du Tigre zodiacal ?

N.B. Le tigre de couverture fait partie d’une murale dans Chinatown à San Francisco.

 

 

 

 

 

 

 

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