Comment ne pas penser à une “Vanité”, en cette période où les fêtes dites “de fin d’année” et le début du mois de janvier font prendre conscience du temps qui passe ?
Cette peinture, intitulée en latin Vanitas (Vanité), et exposée dans un musée japonais, m’a inspirée ! J’en propose une explication personnelle.
1-Le peintre : Edwaert Collier (dont le nom s’écrit avec plusieurs variantes) est né à Breda (Pays-Bas) en janvier 1642 et mort à Londres en septembre 1708. Ces dates sont imprécises car on a peu d’informations sur sa vie. Il fait son apprentissage aux Pays-Bas, puis vit et travaille à Londres, en alternance avec son pays natal. Le Rijksbureau voor Kunsthistoriche Documentatie (Netherlands Institute for Art History) indique qu’il a appartenu à la Guilde de St Luc, corporation d’artistes qui tire son nom du saint patron des peintres, de Haarlem et de Leyde. Edwaert Collier est renommé pour ses stilleven (littéralement “vie tranquille”, en hollandais), c’est-à-dire “Natures mortes”.
2-L’œuvre : Vanitas, 1663, huile sur panneau, dimensions non indiquées, Musée des Beaux Arts occidentaux, Tokyo, Japon. La notice du musée indique un sous-titre en anglais : Still Life with books, manuscripts and a skull (Nature morte avec livres, manuscrits et un crâne).
3-Le Mouvement : Baroque. L’art baroque règne sur l’Europe aux XVIIè et XVIIIè siècles. Il privilégie la sensibilité sur le raisonnement, notamment par le goût du trompe-l’œil.
Siècle d’or de la peintre hollandaise, le XVIIè siècle est le plus fécond de l’Europe du Nord (Belgique avec Rubens et Vermeer, Pays-Bas avec Rembrandt).
4-Genre ou catégorie : Vanité, c’est-à-dire Nature morte visant à provoquer la réflexion philosophique et religieuse sur la condition humaine, au moyen d’objets symboliques. C’est un genre pictural moralisateur, insistant sur l’inutilité des plaisirs et des richesses devant la mort. L’appellation provient de L’Ecclésiaste, 1 : Vanitas vanitatum et omnia vanitas ! Vanité des vanités et tout est vanité !
Les origines de la Vanité remontent à l’Antiquité, et certaines mosaïques de Pompéi (Ier siècle), appelées Memento mori, invitaient déjà à la méditation sur la Destinée.
Mais c’est au XVIIè siècle que la Vanité a connu son apogée en Europe, à cause de l’époque baroque et de la rivalité entre Catholiques et Protestants. Par rapport aux artistes d’autres pays, les Hollandais (Protestants rigides) ont un handicap, à savoir le manque de mécénat d’une cour ou de l’Église, car le protestantisme condamne la représentation du divin. L’artiste est plutôt considéré comme un commerçant … et ce que les acheteurs désirent ce sont des portraits, des scènes de genre (fêtes populaires, intérieur de maisons) ou des petits genres comme les natures mortes, les représentations d’animaux et les paysages.
Ces natures mortes peuvent associer des symboles du temps, de la mort, de la science, des plaisirs — symboles qui deviennent des allégories du temps qui passe.
5-Bibliographie : L’Histoire de la peinture pour les Nuls (pour les citations en italiques dans les parties 1, 3, 4, et les explications concernant les “vanités”, partie 8) First Éditions, 2009 ; le Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins).
6-Le Thème : Philosophique et religieux.
7-Analyse iconographique :
Sur une table recouverte d’une nappe vert foncé sont disposés pêle-mêle de nombreux objets, pas toujours faciles à identifier.
On voit au premier plan, de gauche à droite, un almanach sur lequel est renversé ce qui me semble être un encrier noir, puis une montre à gousset avec une chaîne, une paire de binocles, une carafe (ou un grand gobelet) en verre au col ouvragé, un manuscrit portant un texte biblique (un verset du psaume 26), des feuillets recouverts d’une couverture colorée sur laquelle repose une flûte.
Au second plan, encore de gauche à droite, un tube contenant de fins tuyaux ou cylindres noirs (porte-plume pour écrire ?), un chandelier sans chandelle, un grand os devant un crâne dans la mâchoire duquel il ne reste que trois dents ; ce crâne est ceint d’une couronne de feuillage, ici du lierre. Un gros livre (de messe) ouvert contenant des sermons occupe beaucoup de place à droite.
À l’arrière-plan, au centre, une sorte de bourse fermée, avec un manche ouvragé, un autre gros livre et un sablier.
Ces différents plans créent une perspective et donnent une impression de profondeur.
Tous les objets sont allégoriques, c’est-à-dire représentent une idée par une figure dotée d’attributs symboliques.
8-Analyse symbolique :
Évoquant la vanité des biens terrestres, les livres profanes (almanach, gros livre fermé, feuillets colorés), les binocles et le nécessaire pour écrire (encrier et accessoires) symbolisent la vanité du savoir.
Un almanach était à l’origine un livre miniature contenant calendrier(s) et prédictions astrologiques ; il est devenu peu à peu un recueil de sagesse populaire avec dictons et proverbes.
La bourse (donc l’argent) symbolise la vanité du pouvoir, tandis que la flûte, comme tout instrument de musique, est le symbole de la vanité des plaisirs.
Évoquant le caractère transitoire de la vie humaine, la montre, le sablier et le chandelier manifestent la mesure du temps. Les documents “papier” portent aussi des marques de l’usure qu’il produit. Le crâne et l’os insistent sur l’aboutissement du temps qui passe, c’est-à-dire la mort.
Tout est soumis au temps, et particulièrement les biens et les grandeurs terrestres. Leur possession se révèle alors illusoire.
Mais — message d’espérance — outre les écrits religieux (gros livre et psaume), le sablier et la couronne de lierre contiennent les symboles de la Résurrection et de la Vie Éternelle.
Le lierre : L’un des ornements habituels de Dionysos : vert en toute saison, il symbolise la permanence de la force végétative et la persistance du désir… Également consacré à Attis, dont la déesse de la terre et des moissons, Cybèle, était amoureuse, il représentait le cycle éternel de la mort et des renaissances, le mythe de l’éternel retour (Dictionnaire des Symboles, p. 571). Sur cette peinture, le lierre est disposé en couronne autour du crâne, couronne qui est une promesse de vie immortelle, à l’instar de celle des dieux (Ibid., p. 303).
Le sablier : Le sablier symbolise ‘la chute éternelle du temps’ (Lamartine), son écoulement inexorable et partant son aboutissement, dans le cycle humain, à la mort. Mais il signifie aussi une possibilité de renversement du temps, un retour aux origines (Ibid., p. 838). Il établit un lien entre le Ciel et la Terre.
9-Analyse chromatique :
L’impression générale est sombre. Cependant, la partie droite du tableau reçoit une lumière qui éclaire les écrits religieux (le gros livre et le psaume), tandis que la partie gauche (côté profane) a un éclairage plus faible.
Le fond noir, vide, sert de repoussoir et met en valeur les objets.
Le vert (de la nappe) garde un caractère étrange et complexe, qui tient de sa double polarité : le vert du bourgeon et le vert de la moisissure, la vie et la mort. Il est l’image des profondeurs et de la destinée (Symboles, p. 1007).
10-Composition et style :
La table occupe le tiers inférieur du tableau (ligne bleue, sur la nappe) ; elle sert de présentoir, rassemblant ces objets en apparence hétéroclites pour qu’ils concourent ensemble au sens du mot Vanitas, Vanité.
À l’intersection des diagonales (en jaune), le crâne est placé en position centrale sur ce panneau, qui possède un registre tragique puisqu’il traite de la mort. Mais le triangle délimité à droite est rempli par le livre contenant la Parole du Dieu des Chrétiens, et dont l’importance est accentuée ici par l’effet grossissant produit par le verre, semblable à une loupe et saisissant trompe-l’œil ! Ce livre est un symbole à visée didactique signifiant qu’il appartient à chaque personne de se préparer à la mort en se détournant des fausses valeurs profanes au profit des vraies valeurs sacrées.
Synthèse :
À l’époque d’Edwaert Collier, d’autres artistes, comme, par exemple, le Français Philippe de Champaigne et l’Espagnol Antonio de Pereda, peignent des Vanités.
À l’époque moderne la Vanité, en tant que genre pictural, est rare, dans la mesure où la réflexion sur la mort a perdu de son importance religieuse et théologique dans les sociétés occidentales. Cependant, le thème philosophique et poétique de la fuite du temps est toujours actuel. Carpe diem !
Toujours aussi intéressant, ma chère Catherine.
Merci pour votre article ! En partage, je vous propose de découvrir ma série contemporaine sur le sujet. Dessins de fleurs fanées en cours de réalisation : “Vanité”, dont le rapport du GIEC est à l’origine : https://1011-art.blogspot.com/p/vanite.html
Merci pour votre contribution !