Dans mon jardin, les fougères (et le muguet) sont en pleine floraison. Outre leur caractère décoratif, les fougères auraient un pouvoir magique, surtout le 24 juin ! En effet, selon une tradition quasi universelle, la fougère, et particulièrement la fougère impériale, fleurit pendant une heure, dès minuit, la nuit de la Saint-Jean … La semence ou les graines récoltées alors ont de grands pouvoirs : sans elles, les sorciers perdraient la moitié de leur puissance (Le Livre des superstitions, coll. Bouquins, p. 778).
Or, pendant mon voyage en Nouvelle-Zélande, j’ai également pu admirer de magnifiques fougères (plus hautes que celles de mon jardin !), et en savoir plus sur leur valeur aux yeux des Néo-Zélandais, notamment d’origine maorie, grands amateurs de rugby.
Quel est donc le lien entre les fougères, les Maoris et le rugby ?
Les fougères (Filix, en latin classique) étaient connues de l’Antiquité gréco-romaine. Le naturaliste Pline l’Ancien, après les avoir décrites, en indique les vertus, principalement médicinales. Il y a deux espèces de fougères. En grec, on nomme pteris ou blechnos celle qui d’une seule racine produit de nombreux rejetons dépassant souvent deux coudées en hauteur (environ 1 m), et n’ayant pas une odeur forte : c’est la fougère mâle. L’autre est nommée en grec thélypteris ou nymphraa pteris. Celle-ci n’a qu’une seule tige, peu garnie de branches, elle est plus courte, plus touffue.
La racine de l’une et de l’autre engraisse les cochons. Les feuilles de toutes les deux sont découpées en forme d’ailes (πτερον ptéron, aile, qui a donné -ptère en français comme dans “hélicoptère” ou dans “ptérodactyle”), d’où le nom grec pteris. Les racines de toutes deux sont noires. Il faut les faire sécher au soleil. On n’emploie cette racine qu’au bout de trois ans. Les fougères chassent les vers intestinaux ; les taenia, avec du miel ; les autres, en boisson avec du vin doux pendant trois jours. … On ne doit donner ni l’une ni l’autre aux femmes, car elles causent l’avortement chez les femmes enceintes, la stérilité chez les autres. On répand sur les ulcères la poudre de fougère, ainsi que sur le cou des bêtes de somme. Les feuilles tuent les punaises et écartent les serpents. Brûlées, elles mettent en fuite par leur odeur ces animaux (Histoire naturelle, Livre XXVII, ch. 55, § 1, 2, 3 ; extraits traduits par Émile Littré, 1848-1850, Paris).
Dans les écrits de Pline, les superstitions se mêlent souvent aux connaissances scientifiques de son époque. Si la fougère comme moyen contraceptif relève de la superstition, la fougère en poudre appliquée sur des plaies, remède dans l’Antiquité, était utilisée également par la médecine traditionnelle maorie en Nouvelle-Zélande.
En effet, dans la mythologie des Maoris, c’est Tāne Mahuta, divinité de la Forêt Vivante (arbres, oiseaux, insectes) qui, lors de la création du Monde, a fourni les plantes procurant abri, nourriture, vêtement et remède aux êtres humains. Les Maoris possèdent ainsi un lien spirituel avec leur environnement.
Preuve que les fougères avaient (et ont toujours) une importance symbolique, lorsque le chef d’une tribu différente arrivait autrefois dans un village maori, un guerrier armé déposait une fougère à ses pieds. Si ce chef la ramassait, cela signifiait qu’il venait avec des intentions pacifiques. De telles cérémonies d’accueil (avec Haka), très impressionnantes, sont encore représentées devant visiteurs néo-zélandais et touristes étrangers (comme le montrent les photos ci-dessus).
Sur ces panneaux décorant un immeuble à Dunedin (île du Sud), on voit les dons des divinités mythologiques devenus des symboles actuels de la Nouvelle-Zélande : deux sortes de fougères (plantes), deux kiwis et deux moutons (animaux) et une statuette maorie en bois sculpté (êtres humains).
Les fougères au bout recourbé en forme de crosse s’appellent Mamaku (black tree fern, en anglais ; cyathea molullaris, en latin botanique). De très grande taille, elles étaient un aliment, un remède et un matériau de construction (pour les maisons traditionnelles maories). En médecine, les jeunes feuilles étaient utilisées pour soigner les inflammations superficielles de la peau.
L’autre fougère s’appelle Ponga (silver fern, en anglais ; cyathea dealbata, en latin botanique). De grande importance pour les Maoris, elle est devenue un symbole international de la Nouvelle-Zélande moderne.
À l’époque où les Maoris faisaient des guerres inter-tribales, pour venger des offenses ou pour rafler du butin ou des femmes (!), ils menaient des raids nocturnes. Pendant ces attaques de nuit, les guerriers ne se servaient pas de torches allumées — ce qui aurait compromis l’effet de surprise. Ils utilisaient une feuille de fougère argentée (Ponga), qui indiquait la direction prise par le groupe. Le groupe (une vingtaine d’hommes) marchait en file indienne, à un ou deux mètres à côté du chef et pouvait voir où il allait grâce aux reflets de la Ponga luminescente. Ainsi cette fougère argentée a-t-elle toujours signifié pour les Maoris un but à atteindre, une voie pour réussir.
À la fin du XIXè siècle, quand la première équipe de rugbymen néo-zélandais a quitté son pays pour jouer des matches internationaux, la question s’est posée de savoir quel symbole arborer sur leur maillot : un kiwi ou une fougère argentée ?
Les Maoris de l’équipe ont fait valoir que le kiwi (oiseau nocturne, ne volant pas et, de ce fait, proie facile) n’était pas un oiseau de bon augure, en l’occurrence. En revanche, la fougère argentée montrait clairement que les joueurs de rugby avaient en tête un objectif précis : un but à atteindre et un désir de victoire — tels les guerriers d’autrefois.
Voilà pourquoi les All Blacks portent sur leur maillot une feuille de fougère argentée, qui symbolise la lutte pour atteindre la victoire. Et le haka spectaculaire qu’ils effectuent avant les matches n’est pas seulement une danse guerrière traditionnelle, mais aussi une expression de leur identité empreinte d’héritage maori, de leur accueil, et de leur respect pour le combat et la victoire.
À surveiller donc lors des prochains matches de la Rugby Worldcup de l’automne 2019 au Japon !
Merci pour cette chronique qui éclaire le symbole des All Blacks qui m’a toujours intrigué. J’en connais grâce à votre commentaire l’origine..
Deux remarques complémentaires d’un corrézien dont la région est riche en fougères et ceps. Le premier est qu’il ne faut pas tirer une fougère sous peine de s’ensanglanter les doigts car leurs tiges sont coupantes. Le second, à propos de l’éloignement des serpents, en Corrèze toujours les endroits à fougères sont à champignons mais aussi, dit-on, à vipères. Il faut donc se méfier. C’est du moins ce que j’ai entendu dire.
Bien cordialement
Merci de ces très intéressantes remarques (que je partage avec plaisir) !