Dans le zodiaque chinois, l’année qui commence le 8 février 2016 est placée sous le signe du Singe, et se terminera le 28 janvier 2017.
Le Singe zodiacal est une créature sympathique, mais ambivalente. En effet, si les horoscopes louent, chez les natifs de ce signe, vivacité d’esprit et goût pour l’apprentissage, ils lui reprochent aussi son inconstance et sa bouffonnerie.
D’autre part, il symbolise, en Occident, des qualités différentes de celles qu’il possède en Extrême-Orient.
Dans la mythologie gréco-romaine, le singe passe pour un avatar de l’homme mauvais.
Au Ier siècle, l’écrivain latin Ovide raconte, dans son long poème des Métamorphoses, comment le dieu Jupiter transforma deux brigands en singes : Jadis le père des Dieux, révolté de la mauvaise foi et des parjures des Cercopes, voulant punir les crimes d’un peuple si perfide, les changea en animaux difformes, qui différaient de l’homme tout en lui ressemblant. Il rapetissa leur corps, aplatit leur nez qui se retroussa au-dessus du front, et sillonna leur visage de rides, comme on en voit aux vieilles femmes. Il couvrit tout leur corps d’un pelage fauve ; enfin il les envoya dans ce pays, non sans leur avoir ôté d’abord l’usage de la parole et de leur langue, née pour le parjure (Livre XIV, vers 89-99, traduction de Georges Lafaye, 1925-1930).
Ce mythe de l’origine du Singe, où la métamorphose apparaît comme un châtiment divin, met en scène des brigands : les Cercopes. Ils avaient été capturés par Hercule, mais ils s’étaient moqués avec tant de verve des poils noirs couvrant les fesses du héros que celui-ci, amusé au lieu d’être offensé, les avait relâchés — avant que Jupiter n’intervienne finalement !
Ces Cercopes, amuseurs publics et trompeurs, outre le nom de “Cercopithèques” donné à une espèce particulière, accréditent la mauvaise réputation des singes en général (accusés de bouffonnerie, légèreté, malice etc.). Le pays où ils auraient été envoyés s’appelle les Pithécuses (littéralement, “îles aux singes”), en face de Naples.
En effet, le nom “singe” se dit en grec πιθηκος (pithékos) — étymologie de la racine “pithèque” qui s’emploie en composition pour désigner des singes proches de l’être humain, comme “l’anthropopithèque”, “l’australopithèque” et le “pithécanthrope”.
Mais un autre poète latin du Ier siècle, Phèdre, prête au singe des qualités de débrouillardise, de prudence, voire de sagesse.
Dans une de ses fables, empruntée au fabuliste grec Ésope, il met en scène Loup et Renard qui demandent l’arbitrage de Singe dans une querelle les opposant. Le premier accuse le second de l’avoir volé. Chacun des deux plaignants étant menteur, mais redoutable, le jugement du singe les renvoie dos à dos. “Toi, tu ne me sembles pas avoir perdu ce que tu réclames ; et toi, je crois que tu as dérobé ce que tu nies par tes belles paroles” (Livre I, 10 Lupus et Vulpis, judice Simio, traduction personnelle des vers 9-10). La morale de l’histoire est pragmatique : d’une part, lorsqu’on est un menteur invétéré, on s’expose à ne pas être cru quand on dit la vérité ; et, d’autre part, lorsqu’on est en présence de la force, il vaut mieux faire preuve de prudence !
Avec un point de vue naturaliste (et non pas mythique), toujours au Ier siècle de notre ère, Pline l’Ancien consacre le Livre VIII de son Histoire Naturelle à traiter “De la nature des animaux terrestres”. Il décrit, entre autres, les animaux d’Afrique, comme on en voit sur la mosaïque marocaine ci-dessus, trouvée à Volubilis.
Au chapitre 80, Pline rassemble toutes sortes de remarques sur les singes. Les singes, qui ressemblent le plus à l’espèce humaine, se distinguent entre eux par la queue ; leur adresse est merveilleuse : on dit que, voulant imiter les chasseurs et se chausser comme eux, ils se mettent de la glu et s’entravent les pieds dans des filets… Les guenons ont une affection toute particulière pour leurs petits ; celles qui mettent bas dans l’état de domesticité les portent dans leurs bras, les montrent à tout le monde, se plaisent à ce qu’on les caresse, et semblent comprendre qu’on les félicite : aussi leur arrive-t-il fort souvent de les étouffer à force de les embrasser (traduction d’Émile Littré, 1877).
De ces portraits, empreints de sympathie à l’égard des animaux, il ressort que les singes ont une grande capacité d’imitation, notamment pour “singer” les conduites ou les productions humaines, en bonne ou en mauvaise part. Dans cette optique, une fable de Jean de La Fontaine (Le Singe, XII, 19) dénonce les plagiaires en littérature !
Par ailleurs, en latin, les noms désignant les “singes” sont des paronymes de l’adjectif qui signifie “semblable”. En effet, simis, simius et simia (qui ont donné en français “simien” et “simiesque”) semblent proches de similis (étymologie de “similitude, simili” etc.). Les “singeries” seraient donc des contrefaçons — le fait d’imiter, mais mal, de façon à provoquer le rire !
En français, plusieurs expressions prennent le “singe” comme point de comparaison : “adroit/malin comme un singe”, “laid comme un singe”, “faire le singe”, “on n’apprend pas à un vieux singe à faire la grimace.” De plus, “singe” en argot désigne un “patron” et, en argot militaire, le “corned beef” dont se nourrissaient les soldats, au début du XXè siècle. “Payer en monnaie de singe” veut dire “ne pas payer du tout, souvent en lanternant son homme avec des simagrées et des compliments.” Cette expression rappelle que le roi Saint Louis “avait émis un règlement qui dispensait les amuseurs de payer le droit de passage sur le Petit-Pont, à Paris, notamment les montreurs de singes, lesquels faisaient exécuter quelques tours à leurs bestioles en manière de paiement” (Claude Duneton La Puce à l’oreille, Anthologie des expressions populaires avec leur origine, 1979).
Tout autre apparaît le singe en Extrême-Orient. Le singe chinois, comme tant d’autres, est en réalité un sage initié, qui cache sa véritable nature sous cette apparence bouffonne. L’attitude du singe, dans l’art extrême-oriental, est souvent celle de la sagesse et du détachement, peut-être par dérision à l’égard de la pseudo-sagesse des hommes. Les célèbres singes du Jingoro, au temple de Nikko, qui se ferment, l’un les oreilles, le second les yeux, le troisième la bouche, sont encore une expression de la sagesse, et, partant, du bonheur (Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 884-888)
Ils figurent même sur les wagons du shinkansen (train à grande vitesse japonais), comme celui-ci qui relie Tokyo à Sendai.
Cependant, Au Japon, la coutume veut que l’on évite de prononcer le mot “singe” au cours d’une noce, ce qui risquerait de mettre en fuite la mariée.
Recherche faite, il se révèle qu’en japonais les mots signifiant “singe” et “quitter” sont homophones ! D’où la superstition.
Mais en revanche, le singe est réputé chasser les mauvais esprits ; ce pour quoi on donne souvent aux enfants des poupées figurant des singes. On en donne aussi aux femmes enceintes pour faciliter leur accouchement (Ibid.).
Pour finir, le singe est le symbole des activités de l’inconscient. Il a, de l’inconscient, le double aspect, maléfique à l’instar du sorcier, bénéfique à l’image de la fée, mais tous les deux aussi irrationnels (Symboles, p. 887).
Un personnage complexe donc : il devrait pimenter cette année placée sous son influence, et réserver des surprises — comme l’ont compris certains commerces !
Bonne année du Singe !