Les petites phrases (proverbes et citations latins) que je vais commenter figurent sur des “magnets” souvenirs pour touristes vendus sur la place du Panthéon à Rome.
Cet article est la suite de celui intitulé Cave canem ! etc. Mais il peut être lu indépendamment.
Falsum saepe vero suavius est signifie : “Souvent le mensonge est plus agréable que la vérité”.
Je ne discuterai pas le bien-fondé de cette phrase subtilement paradoxale. En revanche, en parcourant le dictionnaire Gaffiot, j’ai constaté avec intérêt que la famille du terme négatif “falsus” (faux) contenait, dans la langue latine, deux fois plus de mots que celle du terme positif “verus” (vrai). Est-ce révélateur d’une mentalité ?
Et il en est pratiquement de même en français. En effet, “falsus” (qui vient du verbe “fallere” tromper) a donné de nombreux dérivés : faux, fausseté, fausser (sens concret : “fausser un résultat”, déformer ; sens abstrait : “fausser compagnie”, abandonner), fausset (“une voix de fausset” ou “falsetto” — se dit d’une voix masculine de contre-ténor qui peut sembler artificielle), falsifier, faussaire, faute, faute de (comme dans le proverbe : “Faute de grives on mange des merles”), fauter, fautif, défaut, à défaut de, défaillance, faillir (commettre une faute, puis éviter de peu), infaillible, faillite, fallacieux (trompeur), faux-jeton, faux-jour, falloir (“il faut” + nom ou verbe à l’infinitif implique l’idée que quelque chose manque, fait défaut) etc.
En comparaison, la Vérité et ses rares satellites (“vrai, vraiment, véracité, vraisemblable, s’avérer, vérifier, véritable” etc.) font petite figure.
Cependant, qu’elle soit observation psychologique ou point de vue littéraire, cette dualité “faux/vrai” permet de comprendre la complexité des sentiments qu’éprouvent les poètes latins lorsqu’ils évoquent en de petites phrases la passion amoureuse.
Omnia vincit Amor (= “L’Amour triomphe de tout”) est une constatation mise par Virgile dans la bouche de Gallus, poète qui se meurt d’un amour malheureux pour la belle Lycoris, qui l’a quitté (Bucoliques, X, vers 69). Mais loin d’incriminer le dieu responsable de la souffrance qu’il éprouve, Gallus se complaît dans sa passion : et nos cedamus Amori (“et nous aussi, plions devant l’Amour”). Ce qui permet à Virgile, par une mise en abyme littéraire (car il parle à travers Gallus), de concilier poésie bucolique (éloge du bonheur simple des bergers) et élégie (plainte amoureuse).
Et cette phrase est devenue une maxime applicable encore de nos jours (même sans petit dieu ailé, fauteur de trouble !).
Odi et amo veut dire : “Je hais et j’aime”.
Dans la même veine élégiaque que Virgile, son contemporain (Ier siècle avant notre ère), Catulle exprime en un oxymore remarquable (odi vs amo) la confusion de ses sentiments à l’égard de sa volage maîtresse, Lesbie.
Il écrit ce distique : Odi et amo ; quare id faciam fortasse requiris/ Nescio, sed fieri sentio et excrucior (Je hais et j’aime ; tu me demandes peut-être pourquoi c’est ainsi, je n’en sais rien, mais je sens que cela est, et je suis au supplice). La jalousie qu’il suscitait quand il était heureux avec Lesbie, et celle qu’il ressent, à cause de l’infidélité de la belle, sont insoutenables : elles le torturent littéralement. C’est ce que signifie le verbe excrucior, je suis crucifié, tandis que le verbe odi a donné l’adjectif “odieux”.
Virgile et Catulle traitent avec lyrisme le thème de l’amour, peu chanté par les Romains jusque là, bien que la célèbre anagramme de ROMA soit AMOR ! Ils ont vécu pendant la période de paix instaurée par le principat d’Auguste (de 27 avant J.C. à 14 après J.C.), ce premier siècle florissant en poètes élégiaques.
Mais avant la Pax Augusta, il y eut à Rome des guerres civiles, et Jules César et sa passion du pouvoir.
Alea jacta est (“Le sort en est jeté”), est une des nombreuses phrases prêtées à César. En 49 avant notre ère, le général vainqueur des Gaules veut revenir à Rome exercer le pouvoir, mais il a été évincé par des sénateurs hostiles. Il s’apprête à passer avec son armée la petite rivière du Rubicon (limite à ne pas franchir, sous peine d’être hors-la-loi), mais il hésite. L’historien Suétone raconte qu’alors il aurait vu le dieu Apollon et un personnage jouant de la trompette (la Renommée) lui montrer le chemin, et qu’il aurait alors prononcé ces phrases : Eatur, inquit, quo deorum ostenta et inimicorum iniquitas vocat. Jacta alea est = Allons, dit-il, où nous appellent les signes des dieux et l’injustice de nos ennemis. Le dé est jeté ! (Vies des douze Césars, traduction Les Belles Lettres, 1931)
“Alea” signifie “le dé” — jeu très populaire dans l’Antiquité. D’ailleurs, selon les récits évangéliques, les soldats romains présents sur le Golgotha tirèrent au sort, à coups de dés, les vêtements du Christ crucifié. Ce mot a donné “aléatoire”, dû au hasard.
Quant au nom du Rubicon, qui avait été si aisément franchi, il a été attribué, par un curieux retournement de sens, à un véhicule tout terrain, donc qui franchit tout aisément. J’en ai vu un au cœur de Rome !
Merci de vos élégantes présentations.
Une anecdote relative à l’expression “De minimis non curat praetor”: un professeur de latin du Lycée Blaise Pascal de Clermont-Ferrand l’utilisait, dans les années 1960, pour introduire son cours sur les faux amis en disant qu’elle ne se traduisait pas par “Le curé des Minimes n’est pas prêteur”. Il avait chaque année son petit succès, et je ne suis sûrement pas le seul à avoir retenu l’expression et le concept des faux amis grâce à lui.
Merci de cette amusante anecdote, qui me rappelle de bons souvenirs de traductions mot-à-mot comiques et absurdes !