Orphée et Eurydice, personnages mythiques

Le mythe d’Orphée a inspiré de nombreux artistes (peintres, sculpteurs, écrivains et cinéastes).

Ce tableau de Camille Corot montre le “vain retour” d’Eurydice.

1. Le peintre : Jean-Baptiste Camille COROT, peintre et dessinateur (né à Paris en 1796 – mort à Paris en 1875), est considéré comme le plus grand paysagiste français du XIXè siècle. De tradition néo-classique, il est inspiré par un voyage en Italie effectué en 1826. Il expose à partir de 1827, dans tous les Salons, des peintures religieuses ou mythologiques (bergers, faunes, nymphes etc.), dont le caractère gracieux et élégiaque obtient un vif succès. Cependant, il n’obtiendra une consécration officielle qu’en 1855 (Napoléon III achète un de ses tableaux).

2. L’œuvre : Orphée ramenant Eurydice des Enfers, 1861, Huile sur toile, 112,3 cm x 137,1 cm ; Museum of Fine Arts, Houston, Texas, USA.

3. Le Mouvement : début de l’Impressionnisme.

4. Genre ou catégorie : Paysage.

5. Thème : Mythologique et littéraire.

Le peintre emprunte son sujet à Virgile qui raconte l’histoire du couple dans le Chant IV des Géorgiques (vers 485-502) et à Ovide (livres X et XI, dans les Métamorphoses).

Résumé rapide de l’histoire pour mémoire : la dryade (nymphe des bois) Eurydice, mordue par un serpent le jour de son mariage avec le poète-chanteur Orphée, mourut. Celui-ci descendit aux Enfers pour la retrouver et, par son chant mélodieux, charma si fort la déesse des morts Proserpine (Perséphone, en grec) qu’elle lui permit de ramener sa femme avec lui, à condition qu’il ne se retournerait pas pour la regarder (elle le suivait) avant d’être parvenu au grand jour.

Voici une traduction du passage de Virgile illustré par Corot : “Et déjà en revenant, il avait échappé à tous les dangers, et Eurydice qui lui avait été rendue arrivait au monde des vivants, en marchant derrière lui (Proserpine, en effet, avait imposé cette règle).”

6. Bibliographie : Dictionnaire Robert des Noms propres, pour la biographie ; Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins), pour les citations en italiques dans la partie 9.

Orphée ramenant Eurydice des Enfers

7. Analyse iconographique :

Au premier plan d’un paysage de forêt avec une mare ou un étang, un couple s’avance vers le côté droit. Orphée, brandissant sa lyre du bras gauche et tournant la tête vers la gauche, tient par la main droite Eurydice qui le suit. Le jeune Grec porte une tunique courte, ceinturée, une cape rouge nouée sur les épaules, ainsi qu’une couronne de lauriers verts sur ses cheveux blonds. La jeune femme est vêtue d’une longue robe (péplos/péplum) claire ; ses cheveux blonds tressés sont recouverts d’un voile transparent (celui du mariage ?). Le couple est presque arrivé à l’air libre : c’est perceptible au mouvement du vêtement du jeune homme dans lequel le vent s’engouffre.

À l’arrière-plan, on distingue, au centre de la composition, cinq silhouettes revêtues de longues robes (stolae ou toges drapées) à l’antique : ce sont les ombres des Morts restées en deçà de l’étendue d’eau (qui matérialise la frontière entre deux mondes). Dans un taillis au pied d’un arbre est couchée une autre silhouette. Le groupe central, où les personnages sont soudés (en un groupe de trois et un autre de deux), paraît figé, et l’attitude d’un des personnages, incliné sur l’épaule d’un autre, manifeste tristesse et/ou tendresse.

8. Analyse chromatique :

Ici, le peintre est attentif à évoquer l’atmosphère humide, la lumière diffuse (est-ce l’aube ou le crépuscule ?) et à rendre ce paysage sensible. La gamme chromatique est un camaïeu de vert et de brun. Le paysage paraît brumeux à cause de la technique de la gradation des tons (technique qui sera reprise par les Impressionnistes).

Les couleurs sont symboliques de l’atmosphère des Enfers antiques ; on peut voir sur la peinture représentant Charon de J. Patinir des couleurs semblables.

9. Analyse symbolique :

La lyre : inventée par Hermès, selon la légende, ou par l’une des neuf Muses, Polymnie, est l’instrument de musique d’Apollon et d’Orphée, aux accents prestigieux, et le symbole des poètes, donc de l’inspiration (de plus, Orphée serait le fils d’une Muse). Elle est aussi considérée comme un autel symbolique unissant le ciel et la terre : en effet, ses “cornes” de Taureau relient les deux mondes (Symboles, p. 596-597).

La couronne de lauriers : c’est un signe de consécration aux dieux, ici à Apollon (à qui est consacré le laurier). Les couronnes tendent à assimiler qui les porte à la divinité ; elles sont un symbole d’identificationLa couronne figurera le séjour des Bienheureux ou des Morts ou l’état spirituel des initiés (Symboles, p. 303-306).

Selon Plutarque, celui qui est initié aux cultes orphiques (l’orphisme étant une religion à mystères née d’Orphée) devenu libre et se promenant sans contrainte, célèbre les mystères, une couronne sur la tête. Elle est le symbole de la lumière intérieure qui éclaire l’âme de celui qui a triomphé dans un combat spirituel ; elle est aussi la marque de l’athlète victorieux dans les Jeux Pythiques (de Delphes, en l’honneur d’Apollon) et compétitions du stade.

En outre, le laurier est lié, comme toutes les plantes qui demeurent vertes en hiver, au symbolisme de l’immortalité ; symbolisme qui n’était sans doute pas perdu de vue par les Romains lorsqu’ils en firent l’emblème de la gloire, aussi bien des armes que de l’esprit… En Grèce, le laurier symbolisait les vertus apolliniennes, la participation à ces vertus par le contact avec la plante consacrée et, en conséquence, une relation particulière avec le dieu, qui assurait sa protection et communiquait une partie de ses pouvoirs (Symboles, p. 563).

Le vert, équidistant du bleu céleste et du rouge infernal, tous deux absolus et inaccessibles, valeur moyenne, médiatrice entre le chaud et le froid, le haut et le bas, est une couleur rassurante, rafraîchissante, humaine. C’est la couleur du règne végétal se réaffirmant, du printemps, de l’éveil de la vie ; couleur aussi de l’espérance, de la jeunesse du monde, de la force, de la longévité, de l’immortalité. Bénéfique, il prend une valeur mythique. Proserpine est verte car elle apparaît sur terre au printemps, avec les premières pousses des champs.

Mais le vert est aussi maléfique. Il garde un caractère étrange et complexe, qui tient de sa double polarité : le vert du bourgeon et le vert de la moisissure, la vie et la mort. Il est l’image des profondeurs et de la destinée (Symboles, p. 1002-1006).

Le brun est la couleur du sol terrestre et des troncs d’arbres. Il est une dégradation et comme une mésalliance des couleurs pures, peut avoir un symbolisme infernal, et rappelle aussi la feuille morte, l’automne, la tristesse (Symboles, p. 150).

10. Charpente ou composition :

L’intersection des diagonales met en évidence le groupe des Morts (en-dessous). Mais l’asymétrie de la composition attire l’attention sur le couple et sur la lyre, côté progressif (à droite). On peut voir que la nymphe Eurydice est davantage placée “avec” les Morts, où elle est destinée à rester, qu’avec Orphée.

Aucun personnage ne le regardant, le spectateur se sent extérieur à la scène et peut donc exercer son jugement : il est sensible à l’atmosphère mystérieuse qui se dégage de cette Nature.

11. Style et synthèse :

Ce tableau adhère à la narration : il montre bien la marche triomphale d’Orphée avant l’instant fatal ; mais le fait qu’il regarde vers la gauche (sinistra, en latin) est déjà une anticipation de son futur malheur !

En France, ce mythe (Orphée et Eurydice) a été également mis en images par Nicolas Poussin (XVIIè siècle), Jean Cocteau (peinture et cinéma, XXè siècle), le sculpteur sur cristal Émile Gallé (XXè siècle) etc. En littérature, plusieurs écrivains (Guillaume Apollinaire, Jean Cocteau) en ont aussi donné une version.

Mais, au-delà de l’histoire mythique, ce qui intéresse surtout Corot, c’est de peindre fidèlement le paysage, la Nature. Il travaille “sur le motif”, c’est-à-dire sur place, en plein air. Puis il effectue des retouches dans son atelier. Il atteint ainsi un résultat qui lui est propre : une transcription de la scène rendue vivante grâce à sa touche personnelle. On peut imaginer l’odeur des bois, la sensation de l’air.

C’est une peinture qui annonce bien les débuts de l’Impressionnisme.

N.B. Merci à Clara pour les photos prises au Musée de Houston.

Notice du Museum of Fine Arts, Houston

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